Un homme remontait avec précautions l'allée au bout de la rue Longue. La pluie qui tombait dru depuis quelques jours avait détrempé le sol et la nuit était tellement noire qu'il ne voyait littéralement pas le bout de ses bottes. Il enjamba les trois marches du perron. A l'abri de la pluie, il secoua un peu ses vêtements, frotta ses bottes sur le paillasson, fit la grimace en voyant qu'elles étaient couvertes de boue. Au bout d'un moment, il se décida à rentrer dans la grande bâtisse.

Après avoir débarrassé ses bottes du plus gros de la terre dans le vestibule, il se glissa dans la salle de réception, vers la cheminée principale, pour mettre à sécher cape, gants et chapeau. Il prit tout particulièrement soin de la grande plume blanche ornant son couvre-chef. Satisfait, il changea une nouvelle fois de pièce. Il se déplaçait au jugé, comme quelqu'un qui connaissait bien les lieux, à la lueur du feu qui flamboyait doucement derrière lui. Il cherchait quelque chose. Il se cogna le genou à une table basse en pierre, pas à sa place, jura, pour finalement laisser échapper un "Ah !" de satisfaction lorsqu'il trouva enfin les contours d'un petit meuble. Quelqu'un craqua une allumette. Ça venait du coin le plus éloigné de la porte du petit salon. Il se redressa et se retourna en affichant un grand sourire.


« Ahah, vous ici ! Quelle surprise ! », s'exclama-t-il.


Quelques bougies furent allumées, éclairant les deux personnes présentes. Camellya avait l'air assez pâle, traits tirés. Assise dans un fauteuil, elle portait une de ses tenues décontractées qu'elle mettait quand elle n'avait pas besoin de son armure. Le visiteur s'affaira à réveiller le feu dans la cheminée du petit salon.


« Un verre ? », lui proposa-t-elle.

« Si tu me prends par les sentiments... »


Il s'installa dans un fauteuil à côté d'elle et accepta avec gratitude le verre d'alcool qu'elle lui tendait. L'homme était dans la force de l'âge, visiblement plus vieux que la capitaine. Ses cheveux bruns grisonnaient légèrement aux tempes et quelques rides autour de ses yeux quand il souriait ajoutaient à son charme. Ses vêtements sobres alliaient praticité et élégance.


« Que faisais-tu dans le noir ? »

« Je pourrais te retourner la question. »

Il marqua une pause.

« Je venais chercher un remontant pour affronter cette tempête. »

« Vraiment ? En pleine nuit ? »

« Bon, d'accord. J'étais en rade chez moi. Je soupçonne les Nains de vider mes bouteilles... Et toi ? »

« Je réfléchissais. »

« A quoi ? »

Il avala une gorgée.

« Il a un petit goût ton machin, pas désagréable. C'est quoi ? »

« Whisky, nouveauté d'un brasseur hobbit. »

« Oh, pas mal. »

« Coriolan est rentré. »

« Ah bon ? Seul, tu veux dire ? », s'étonna-t-il.

« Oui. »

« J'imagine que ça repousse d'autant notre petite expédition, le temps d'arriver à la convaincre. »

« Elle ne viendra pas. »

Il la regarda, perplexe.

« Il va falloir que tu m'expliques parce que je ne comprends pas. »

« Elle est sur un de ces grands bateaux elfes qui partent pour les Havres. Pour toujours. »

« Les Havres gris ? »

Il mima avec ses mains un bateau et des vagues.

« Mais... comment ? Je veux dire, normalement, elle ne devrait pas pouvoir se séparer de lui. »

« Je ne sais pas, c'est au-delà de ma compréhension. Le charme est rompu en tout cas. »

« On ne peut rien y faire, donc. Comment va-t-il ? »

« As-tu jamais été amoureux, Teil ? »