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Cela faisait presque une journée que nous gardions le silence, ruminant ce que nous avions appris chacun de notre côté et ne faisant pas part à l'autre de nos conclusions. J'avais demandé à Arlienon de se taire et je crois bien qu'il n'aurait de toute façon rien dit. Nous avancions rapidement car nous ne cherchions plus de direction, la Forêt d'Or était notre destination et Dame Galadriel était celle que nous allions voir.
Jusqu'ici, j'avais été certaine des raisons de mon voyage, je souhaitais comprendre ce qui manquait à mes souvenirs et trouver une solution pour ce qui me rongeait la main. A présent que je savais ce qu'il en était, je me demandais si le remède n'était finalement pas pire que le mal.

- Nous arrivons.

Je levai les yeux, Gwingris était en effet à proximité. J'agrippai ma cape pour la rabattre contre moi, le pan gauche glissa sans difficulté entre mes doigts, rendant le froid autant que mes réflexions plus mordant. Arlienon approcha son cheval et le fit lui-même, piquant une tige de bois dans le tissu pour qu'il ne bouge plus. Je le remerciai d'un sourire et posai ma main inutilisable sur ma jambe.

- Tu sais ce que tu as décidé ?
- Pas encore. Je pense demander à Dame Galadriel s'il n'existe pas d'autre solution.
- Et dans le cas où ce serait la seule ?

Je secouai la tête.

- Je ne sais pas Arlienon..
- Je ne fais que dire tout haut ce que tu penses tout bas. Tu n'as pas le choix.
- J'ai toujours le choix de refuser. Qu'il soit bon ou mauvais, cela reste un choix.
- Pour laisser cette malédiction te détruire petit à petit et perdre jusqu'à la raison ?
- Peut-être est-ce mieux que de laisser un remède m'ôter une partie de moi.

Il ne répondit rien, nous étions Elfes tous deux, nous savions ce que ce sacrifice signifiait pour moi. Il était égoïste de ne pas penser à Coriolan, je savais ses sentiments à mon égard sincères et profonds mais le Lien ne serait jamais noué que de mon côté. Que se serait-il passé si nous avions partagé le même sang ? Je me trouvais abjecte de penser à lui de la sorte, je finissais même par espérer qu’en cas d’échec il trouve une personne qui n’aurait pour lui aucun secret et l’aimerait autant que moi.
Penser à Coriolan m’était devenu douloureux depuis mes dernières lectures, j’essayai d’éviter d'imaginer ce qu’il pourrait se produire si le traitement à mon mal avait les mêmes effets que durant mon enfance. N’était-ce pas là une malédiction bien plus difficile à vivre qu’une simple disparition de ce que j’étais ? Finalement, ce n’était pas moi qui souffrirai le plus, mais bien lui..

Arrivés dans la ville en ruine, Arlienon m'aida à descendre de ma monture et me poussa vers le feu qu'un rôdeur entretenait, je n'opposai aucune résistance. Je le regardai s'affairer autour des chevaux et récupérer nos paillasses pour la nuit. Il vint ensuite à moi pour me donner le traitement qu'il préparait chaque jour afin que ma main me fasse moins souffrir.
Je sortis mon matériel d'écriture et tentai à nouveau de poursuivre la lettre que j'avais commencé. Elle ne comportait que quelques phrases, je n'arrivais pas à écrire la suite.


Mon tendre Amour,

Il est des choses que j’ai omis de vous dire.
Je me devais de vous parler.
Lorsque je suis partie, je ne savais pas ce qui allait se produire.
Mes pas m’ont menée bien plus loin que je ne l’aurais cru. Mon voyage touche cependant à sa fin, mais avant d’arriver à ma destination, j’aurais bien des choses à vous dire.
Lorsque je suis partie, je pensais que mon absence ne serait pas assez longue pour qu’un manque lié à mon éloignement puisse se faire sentir. Je me trompais lourdement sur bien des points.
Ce que je vais vous écrire dans cette lettre ne manquera pas de vous blesser, je vous demande de ne pas lire ces mots avec à l’esprit l’idée que tout ceci était prémédité.

Je savais où était mon problème, je me sentais égoïste de le mettre devant le fait accompli à travers la lecture d’une lettre qui pourrait le faire souffrir inutilement. Lentement, je déchirai la feuille et en pris une autre. La tâche que je m'imposais alors m'occupa durant plusieurs heures, la nuit était bien avancée lorsque je terminais enfin. Je me levai autant pour me dégourdir les jambes que pour déposer le résultat de mon travail dans une enveloppe que je glissai ensuite dans les affaires d'Arlienon. Il la trouverait, je le savais et la donnerait à qui de droit s'il jugeait que la situation le permettait.

Je vins m'installer auprès de mon ami, mes préoccupations demeuraient, mais je ne pouvais rien y changer. Pas ce soir.