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Je me sentais nauséeuse depuis mon réveil et les cahots du chemin n'avaient pas arrangé les choses. Fanyarë galopait en suivant la route qui menait à Fondcombe. À force de chercher Erelyd dans les divers endroits indiqués par Arkhel, j'avais fini par trouver sa trace et l'avait suivi jusque-là. J'étais épuisée, cela faisait deux mois que je parcourais les routes et ma main n'avait cessé de me faire souffrir, m'empêchant parfois de dormir. J'osais à peine toucher mon carnet tant mon écriture tremblait lorsque je tentais de former des lettres, mes pensées étaient parfois embrumées au point que ce que j'écrivais n'avait aucun sens. Je me sentais au bord de la rupture tout en ayant conscience que je n'avais pas le temps de m'accorder une pause.

Il m'arrivait parfois d'avoir envie d'abandonner et de rejoindre ceux qui me manquaient. Dans ces moments là, je prenais ma harpe et en jouait avec une maladresse qui à laquelle je n'arrivais pas à m'accoutumer. Seule, je chantais doucement pour entendre une voix familière et me réconforter.

Fanyarë fit un brusque écart qui me sortit de ma rêverie. Arlienon me regardait du haut de sa monture gris cendrée, il tendit la main et attrapa la bride de ma jument pour l'arrêter.

- Où comptes-tu aller comme ça ?
- Fondcombe.
- Ne fait pas celle qui ne comprend pas. Tu sais que cela fait des semaines que je te cherche ?
- Je l'ignorais.

Il m'observa attentivement sans lâcher la lanière de cuir.

- Tu es pâle.

Je détournai la tête, je savais qu'il avait raison. Sans faire plus de manières, il m'enleva les rênes des mains et s'écarta du chemin en entraînant Fanyarë et Menelyan avec lui, j'étais bien trop fatiguée pour m'y opposer. Il s'arrêta dans un lieu qui avait visiblement servi de campement à de nombreuses reprises et me força à descendre de cheval. Il tira une bûche puis m'assit dessus avant de poser ma couverture sur les épaules. Tandis que je m'emmitouflai dans le plaid, il déchargea Menelyan et récupéra le bois que j'avais emporté en prévision du voyage. Faisant danser l'une de ses runes, il enflamma avec facilité les branches sèches avant de s'installer à côté de moi. Il resta un moment silencieux, concentré la préparation du campement et du repas que nous allions partager, il ne brisa le silence qu'en me tendant une assiette.

- Commence par manger, tu te sentiras mieux.

Je hochai la tête et avalai ce qu'il me donnait. Je sentis aussitôt le goût des herbes calmantes qu'il utilisait pour soigner mes blessures et m'offrir un sommeil réparateur lorsque nous voyagions ensemble. Il m'observa toute la durée du repas et ne fut pas long à voir que je ne parvenais plus à manier ma main gauche avec ma dextérité habituelle. N'abordant pas le sujet, le sachant sensible, il se contenta de babiller en me donnant des nouvelles des personnes que je connaissais.

- Tu ne voulais pas nous faire peur, mais ta dernière lettre date d'il y a environ six semaines alors que tu prenais soin de nous envoyer de tes nouvelles régulièrement auparavant. Nous avons cru qu'il t'était arrivé quelque chose.
- Je suis désolée.
- Camellya a accepté ma requête d'envoyer des gens te chercher, Elanorel et Nabi sont parties de leur côté, je leur ai dit que je partirai du mien. Je ne suis pas le seul à m'inquiéter, tu vas donc me suivre sagement et..
- Non.
- Non ?
- Non. Et tu leur diras que je vais bien. Ce qui n'est pas un mensonge du reste.
- Et tu crois sincèrement que je vais te laisser partir alors que je perçois très bien ton problème ?

Il désigna ma main.

- Si tu crois que j'ai quelque chose à faire de ce que tu penses.

Arlienon garda son sang-froid, mais je sentais qu'il bouillait. Sachant à quel point je pouvais être têtue lorsque j'avais une idée en tête, il changea de stratégie.

- Coriolan a demandé à te voir.

Le fourbe. Et il l'avait dit sans expression aucune si bien que j'étais incapable de déceler s'il mentait pour me faire plier. Je fus un instant partagée entre mon envie de vérifier ses dires par moi-même et continuer la tâche que je m'étais donnée. Je secouai négativement la tête.

- Tu ne me feras pas rentrer, même avec ce genre d’argument.
- Bien, en ce cas, je viens avec toi. Et tu ne discutes pas, si je te ramène en morceaux je vais me faire taper sur les doigts. Ou ailleurs au demeurant.

Je haussai les épaules.

- Je te rappelle que tu es censé indiquer que je vais bien à ceux qui s'inquiètent.
- Elanorel et Nabi le feront pour moi, elles finiront par nous retrouver, si ce n'est pas déjà fait.

Je scrutai attentivement les ombres sans rien percevoir. Arlienon se redressa et m'aida à me lever. Fouillant dans les sacs, il sortit deux paillasses qu'il déposa côte à côte près du feu, il me désigna la plus proche des flammes en récupérant la couverture puis s'installa dans mon dos pour m'offrir sa chaleur.

Malgré le poids écrasant de la fatigue, je ne pouvais m'empêcher d'imaginer ce que pourrait penser Coriolan s'il me voyait maintenant.