chap29.pngCoriolan les faisait avancer avec prudence, en tenant les chevaux par la bride. La plupart du temps, il était silencieux, comme concentré sur ce qu’il faisait. Il ne lui adressait la parole que pour s’enquérir de son bien-être et tentait de lui faire oublier la voûte de pierre au-dessus de leurs têtes en la couvrant de petites attentions. Ce voyage commun semblait les avoir rapprochés mais Yualë avait toujours l’air absente. Et son malaise semblait aller croissant à mesure qu’ils s’enfonçaient dans le royaume des Nains. Il décida de faire un léger détour par le Belvédère enfoui.

« Je voudrais vous montrer quelque chose, ce n’est plus très loin. Peut-être que cela dissipera votre mélancolie. »

Elle fit un vague signe de la tête.

« C’est ici. »

Il désignait l’immense géode qui étalait ses scintillements sur toutes les pierres environnantes. Il s’élevait comme une magie de ce lieu.

Coriolan commença à installer leur campement pour prendre un peu de repos. Sa tête le faisait souffrir régulièrement, mais il essayait de le garder pour lui. Il avait fini de s’occuper des chevaux et alla rejoindre Yualë. Elle était figée devant la Géode, incapable de comprendre les sentiments que cet endroit ravivait en elle. Des larmes coulaient le long de ses joues et elle ne semblait pas s’en rendre compte. Le jeune homme était bouleversé, lui se souvenait. Ils étaient déjà venus ici ensemble, quand il l’avait guidée dans la Moria après leur première rencontre. Aussi, cette géode brillant de mille feux avait une signification particulière pour leur amour. Peut-être que l’abattement de l’Elfe lui venait d’une réminiscence lointaine, cachée au plus profond de son esprit.

Il se sentait si impuissant... Il s’approcha d’elle et lui parla de sa voix la plus douce.

« Dame Yualë... Je n’aime pas vous voir dans cet état. Qu’avez-vous ? Puis-je faire quelque chose pour vous ? »

Elle sortit de sa torpeur et se tourna vers lui.

« Je ne sais pas... »

Elle tenta maladroitement d’effacer ses larmes. Coriolan retira ses gants et la prit tendrement dans ses bras. Il lui caressa la joue pour en chasser les larmes.

« Vous allez sans doute encore m’en vouloir, mais je ne vois pas quoi faire d’autre... »

Il déposa un baiser sur son front puis sur ses lèvres. Elle ferma les yeux et s’appuya contre lui. Le cœur du gardien était sur le point d’exploser. Elle ne le rejetait pas. Il tenta le tout pour le tout. Il la pencha légèrement en arrière et l’embrassa. Surprise, elle se raidit légèrement avant de finalement répondre à son baiser et de s’abandonner dans ses bras. Coriolan appréciait ces instants qu’il n’espérait plus. Cependant, il ne voulait pas profiter de l’état étrange de sa compagne. Alors, il se contenta de la serrer contre lui et d’essayer de la consoler. Ils seraient bientôt à la XXIe salle et leurs routes allaient se séparer à nouveau. A cette pensée, il eut un pincement au cœur, mais il ne pouvait pas se permettre de prolonger son voyage. Il était plus que temps qu’il fasse examiner son crane douloureux.

Coriolan s’arracha à cette douce étreinte et fit asseoir Yualë près du feu pour manger. Il se demanda un instant si la magie de la Dame n’était pas encore à l’oeuvre pour l’Elfe soit aussi figée et peu réactive. Son esprit allait-il reprendre la forme d’une louve ? Il chassa cette idée qui lui parut finalement hors de propos.

Dans son état, elle ne pouvait pas assurer de tour de garde. Coriolan veilla à ce qu’elle soit bien couverte et usa du mélange d’herbes de Camellya pour se maintenir éveillé. Il savait qu’il leur faudrait presser l’allure, il ne tiendrait plus longtemps.


Yualë refaisait ce rêve. Louve, elle s’approchait de cette maison dans la Comté qui lui semblait familière. Comme à chaque fois, la vision gagnait en précision. Elle était désormais sûre que cet homme pleurait et que cette femme essayait de le réconforter. Pourquoi était-il si triste ? Et pourquoi souhaitait-elle être à la place de celle qui tentait de le consoler ? Impuissante, le rêve se poursuivit comme à chaque fois. Comme à chaque fois...


Quand elle se réveilla, tout était déjà prêt pour le départ. La voyant, Coriolan lui sourit.

« Nous serons à la XXIe salle dans la journée. »

« Comment pouvez-vous savoir si nous sommes le jour ou la nuit ? »

« Je tiens compte de l’activité de certaines créatures. »


Ils reprirent leur route silencieuse. Dès que le chemin le permettait, Yualë se plaçait à côté de Coriolan et lui prenait la main. Il espérait juste qu’elle ne sentait pas son corps se raidir sous l’effet de la douleur.

A l’approche de la XXIe salle, les signes d’une activité naine se multipliaient. Ils marchaient désormais dans des couloirs sécurisés et gardés. Ils croisèrent même d’autres voyageurs et des caravanes de marchandises. Le jeune homme appréhendait le moment de leur séparation mais essayait de ne pas y penser. Il le fallait.

La grande salle se dévoila. Le plafond était si haut qu’on ne pouvait le voir. Des cristaux habilement placés éclairaient les voûtes et allées comme en plein jour. Les écuries générales hébergeaient des centaines de chèvres. Tout le monde s’activait dans un joyeux vacarme.


Coriolan lui demanda de l’attendre avec les chevaux. Il revint peu de temps après.

« Tout est arrangé. Vitilfur accepte de vous conduire à la Porte des rigoles sombres. Ensuite, je pense que vous connaissez le chemin. »

Il désignait un Nain doté d’une barbe rousse tressée. Ce dernier fit un petit salut de la main et reprit son inventaire.

« Un Nain ? »

« Est-ce un problème ? »

« Non, pas le moindre du monde. Du moins, pas pour moi. Mais lui, comment l’avez-vous convaincu de me guider ? »

« Parce que vous semblez être une Elfe ? Il s’en moque. Il est même plutôt amusé de vous voir dans les galeries. Il veillera sur vous, il a juré. »

Yualë avait toujours cet air malheureux et depuis quelques heures elle gardait le silence et semblait réfléchir.

« Ma Dame, tout va bien ? »

Il n’était pas particulièrement ravi de devoir la laisser, mais il essayait de tenir son rôle jusqu’au bout. Et quand bien même, le mal lancinant se propageait sous son crane. Il sentait que la crise en Trouée des trolls n’était pas passée et voilà qu’elle revenait encore plus forte. La situation empirerait bientôt, il fallait qu’il lui dise adieu.

« Ne vous occupez pas de moi, votre état devrait être la seule chose à vous inquiéter. »

Elle avait l’air perdue, ses mots ne semblaient pas être les siens. D’une main distraite, elle caressait Lossëa nichée dans sa besace. Repensant cette même main qu’il avait gardé dans la sienne tout au long du trajet, il se demanda si elle ne regrettait pas, elle aussi, leur séparation. Peut-être était-ce sa tristesse qui guida ses gestes ? Il la serra contre lui et l’embrassa comme il l’avait déjà fait devant la géode, elle se laissa faire mais il remarqua en s’écartant qu’elle serrait convulsivement la fleur qu’elle gardait toujours autour de son cou.

Il réalisa soudain ce que pouvait impliquer de n’avoir rien dit sur qui il était. Pour elle, cela devait être comme trahir celui qu’elle avait tant aimé et pour lui, c’était comme faire face à un nouveau rival. Rival qui n’était autre que lui-même... Coriolan la serra une dernière fois dans ses bras et lui souhaita bon voyage. Il ne pouvait rien faire de plus pour l’instant.


Les derniers mètres qui le séparaient de la demeure où il pourrait se reposer furent les plus difficiles. Petit à petit, sa résistance perdait du terrain face à la souffrance. Il installa Fumée dans les écuries attenantes, au milieu des autres montures. Accablé par la douleur, il ne remarqua pas les chevaux qui mâchonnaient paisiblement des brins de paille.

La porte était un bel ouvrage en bois. Il frappa. Elle s’ouvrit sur un Nain qui parut ravi de le voir. Il s’effaça pour laisser entrer le jeune homme.

Lorsqu’il franchit la porte, Coriolan ne s’attendait pas à tel comité d’accueil.

« Coriolan ! »

Nabi lui sauta au cou.

« Laisse-lui au moins le temps de poser ses affaires. »

Le jeune chasseuse fit la moue mais s’écarta et rejoignit les autres. Renawen portait magnifiquement sa nouvelle robe de pouvoir. Quant à Elanorel, elle s’était contentée d’un haubert gris. Trois des femmes les plus importantes de sa vie depuis qu’il avait rencontré Camellya. Une soeur d’adoption, un professeur et un maître d’armes. Il soupira et se massa les tempes.

« Vous trois, ici... », se contenta-t-il de dire.

Ces trois femmes qu’il ne valait mieux pas se mettre à dos. Elles l’observaient, chacune à sa façon. Il se sentit un peu mal à l’aise. Soudain, les questions fusèrent. Seule Elanor restait silencieuse.

« Alors ? »

« Vous vous êtes embrassés ? »

« Elle n’est pas avec toi ? »

« Tu lui as dit ? »

Mais Coriolan ne les entendait plus. Il porta sa main au visage et tout devint noir. Il s’effondra.