chap32.pngCoriolan était allongé, les bras le long du corps. Des pierres gravées de runes étaient disposées autour de lui. Il dormait encore, sa respiration était calme. La vieille guérisseuse était sortie de la chambre une demie heure plus tôt, après près d’une journée de soins. Ses traits étaient tirés, elle avait mis toutes ses forces dans ce traitement. Elle demanda à boire et descendit cinq pintes d’une traite. Désaltérée, elle leur expliqua ce qu’elle avait fait. Il se réveillerait d’ici quelques heures et ces vilaines migraines ne seraient plus qu’un mauvais souvenir. « Il est tiré d’affaire. », conclut-elle.

« Et pour votre rétribution ? », demanda Elanorel.

« Vous m’avez donné des nouvelles de mon petit-fils et je saurai m’en contenter. Mais j’avoue que si vous pouviez le convaincre de me rendre visite, nous serions quittes. »

« Ce sera fait, vous avez ma parole. »

« Oh, je sais que vous n’êtes pas le genre à laisser courir une dette, Elfe. »

L’activité au dehors faiblissait. Bientôt, il n’y aurait plus que les rondes des gardes et quelques visiteurs dans les ruelles. La guérisseuse allait donc en profiter pour prendre congé, elle souhaitait rester discrète.

« Ah, avant que je ne parte, rappelez-moi le nom que mon petit-fils a décidé de porter... »

« Balsarn, Vénérable. »

« Ahah, c’est plutôt bien choisi pour une telle tête de pioche. »

« Vénérable, permettez que je vous raccompagne. », suggéra Renawen.

« D’accord mon petit. Comme ça, vous me parlerez des forêts. cela fait si longtemps que je n’en ai vu... »


Elanorel attendait patiemment au chevet que Coriolan se réveille. Elle espérait que ce ne serait plus dans très longtemps. Elle avait besoin de bouger, de se battre, de sentir son sang brûler dans ses veines. La fureur des combats, le vacarme des batailles, elle y revenait toujours, quoi qu’il advienne. Cela lui refit penser à ce qu’avait dit Coriolan sur Echad Elenath. Oh oui, elle irait là-bas. Elle emmènerait Nabi la chanceuse, Nabi l’arrogante et elle la laisserait les humilier. Ils ne méritaient rien de plus. Elle soupira. Encore attendre. Elle avait remis sur le feu la soupe qu’elle avait apportée. L’odeur le réveillerait peut-être.


Les heures avaient passé. Elanorel s’était plongée dans une sorte de transe qui lui permettait de dormir en restant vigilante. Coriolan s’éveillait doucement. Il prit conscience du lit, de la pièce, de la présence de l’Elfe. Il entendait le feu crépiter. Il se redressa pour s’asseoir et passa machinalement sa main sur l’arrière de son crane. Il ferma les yeux et revit la scène. Son frère, la table détruite, le pied de la table dans les mains de son frère, la douleur, sa victoire malgré tout et le trou noir. Puis le réveil, le sang, son sang. Il ouvrit les yeux et vit les runes. Il comprit que c’était fini. Il pleura doucement, enfin libéré de son passé.

Elanor l’avait entendu pleurer mais avait préféré attendre qu’il se reprenne pour lui parler.

« Finalement, tu dors de temps en temps. », remarqua Coriolan.

L’Elfe sourit.

« Toujours moins que toi, belle au bois dormant. »

« Combien de temps ? »

« Huit jours. Huit longs jours... »

« Je vois. Quelles nouvelles ? »

Ils se connaissaient bien, il savait qu’il pouvait aller à l’essentiel et qu’elle ne lui cacherait rien.

« Caras... »

Il ne répondit rien.

« Lui as-tu dit ? »

« Dire quoi ? »

« Allons, ne fais pas l’enfant, tu as très bien compris. Lui as-tu dit qui tu étais ? »

Il n’était toujours pas décidé à parler.

« Tu nous mets tous dans une situation très embarrassante. Nous avons besoin de ton bouclier. Je crains que nous ne puissions plus jouer cette comédie très longtemps. Toujours à éviter d’être vus ensemble, même de se parler. Tu ne portes même plus ton insigne. Le bleu de ton haubert ne suffit pas. »

Son ton était plein de reproches.

« Je comprends ce que tu ressens, je comprends ta démarche. N’attends pas plus. Dis-lui. »

Elle fit une pause et soupira.

« Tu es pâle. »

Elle lui apporta un bol de soupe.

« Mange un peu. Tu ne pourras aller nulle part comme ça et faire croire que tu vas bien. Tu ne veux plus qu’elle s’inquiète, n’est-ce pas ? »

Touché. Elle avait visé juste, comme toujours. Il savait qu’elle avait raison. Il fit semblant d’être absorbé par la nourriture qu’il mangeait du bout des lèvres. Il était préoccupé. Ce moment devait arriver, c’était certain, mais il appréhendait tellement sa réaction. Aurait-il réellement le courage de lui avouer ce semblant de supercherie ? Et si cela la blessait ? C’est alors qu’Elanorel porta le coup de grâce.

« Il vaut mieux que cela vienne de toi que de nous. Tu le sais très bien, il le faut. »

Oui, il le fallait.

« Tu es terrifiante, tu sais, Dame grise. Je ne voudrais pas être à la place de tes ennemis. »

« Tu dis toujours ça quand ce que je dis ne te convient pas. »

« Je lui dirai, mais j’ai besoin de réfléchir au comment. »

« Tu auras tout le temps de ton voyage pour ça. Finis de manger, j’ai quelque chose pour toi. »

Elanorel disparut quelques minutes et revint avec un paquet et ce qui semblait être une lettre.

« De qui est-ce ? »

« Tu verras bien. »

« Tu es trop dure avec moi, je suis en convalescence. »

Coriolan lui tendit son bol vide.

« Tu vois, j’ai fini. Faisons un échange. »

Elle récupéra le bol et déposa le paquet sur le lit. Avant de sortir de la chambre, elle posa la main sur son épaule.

« Contente de te revoir de ce côté des vivants. »


Coriolan observait le paquet et la lettre. Puis il se décida. Il commença par la lettre. Il reconnut immédiatement son écriture.

« Il pleut parfois en Lothlorien. »

Caras... Elle était donc à Caras. Si Elanorel le savait, cela signifiait qu’une petite main était là-bas. Nabi, vu qu’elle n’était pas pendue à son cou. Malgré sa malice, elle pouvait commettre un impair...

Il considéra le paquet et l’ouvrit. Une cape. La cape qu’elle avait cousue pour lui. Son cœur s’enflamma et il recouvra tous ses esprits. C’était sans doute le signe qu’il attendait. Oui, il irait à Caras Galadhon pour la voir. Oui, il lui faudrait trouver les mots. Et bientôt, son avenir serait scellé.