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16 octobre XXX5


Les différents entretiens que j'ai pu avoir ces derniers jours avec Camellya n'ont fait qu'accroître ma sensation de malaise. Inconsciemment, elle répond à mes questions, parfois par deux messages différents et contradictoires. Je comprends sa position, de par ses propos et ses  attitudes, je sais que la personne dont j'ai oublié jusqu'au nom est quelqu'un de son entourage. Elle semble souffrir de ne rien pouvoir faire d'autre que de nous soutenir et nous écouter tous les deux, ce genre de situation sort peut-être de celles qu'elle a l'habitude d'affronter.

Elle m'a demandé d'attendre, j'ai pensé qu'il s'agissait d'un caprice, mais une raison sous-tend sa requête, bien qu'elle ne m'avoue pas laquelle. A-t-elle besoin de moi pour quelque chose ? J'en doute, elle a pour coutume de gérer les choses seules. Je pense plutôt que qu'elle attend qu'il prenne sa décision. Peut-être a-t-elle peur que je disparaisse à nouveau ? Ou bien simplement peut-être aimerait-elle pouvoir nous réunir d'une façon ou d'une autre ?


Je lui ai demandé son aide afin de faire tatouer ma main. Je suis persuadée que j'aurais la possibilité de faire effacer les marques de ma malédiction par quelqu'un, mais je n'en ai aucune envie. Je souhaite les garder pour moi, pour ne jamais oublier ce à quoi j'ai réchappé et les erreurs à ne plus faire. Mais je ne veux inquiéter personne, un tatouage fera penser à une coquetterie de ma part, pour tout étranger cela sera plus simple à accepter. Je n'ai pas envie de voir un regard de dégoût ou que quelqu'un refuse de me prêter assistance en cas de danger car ma main est la preuve de ce à quoi j'ai réchappé. J'ai fait de nombreux dessins, sur papier et directement sur ma paume, une fleur accompagnée de volutes remontant sur mon avant-bras me semble le plus adapté et le plus naturel compte tenu de ma nature Elfique.

Camellya m'a affirmé qu'elle me présenterait un nain qui pourrait adapter mon dessin afin qu'il soit appliqué sur la marque. Elle a finit par me convaincre d'en faire une rune (selon elle, son ami me l'aurait lui-même demandé), j'ai choisi le mot "protection" à la fois car il est celui qui me représente le plus et ce à quoi j’aspire. Sur ce bras qui soutient un bouclier, ne pourrait-il pas m'aider à offrir mon aide à ceux qui me sont chers ? Elle m'a appris que les siens avaient également une signification, notamment celui qu'elle a sur le poignet, l'amour éternel qu'elle voue à celui qui lui est cher.


Puis-je moi-même prétendre encore à ce genre de chose ? En admettant que ce que j'ai oublié n'efface en rien mes sentiments envers cette personne, celle-ci pourra-t-elle me pardonner ce que j'ai fait ? Tant de questions et si peu de réponses.. Camellya parle volontairement par énigmes et je ne souhaite pas lui en demander plus. S'il n'y avait sa volonté de me faire rester dans la Comté durant un temps encore, j'aurais peut-être déjà repris la route pour rencontrer Galadriel.

La Dame est sans nul doute la seule personne capable de m'expliquer les mécanismes de son propre sortilège. Ce que je sais actuellement ne m'a été transmis que par les connaissances limitées que mes parents en avait. C'était certes suffisant pour savoir à qui m'adresser, mais incomplet pour en connaître toutes les conséquences.

Galadriel devait pressentir mon refus, je la sais capable de lire l'avenir et elle m'a indiqué qu'elle m'attendait. Est-ce en connaissance de cause qu'elle m'a ainsi fait prendre son produit à mon insu ? Ou tout simplement car mon temps était trop limité pour en perdre à discuter inutilement. Ce soir là, je me sentais à bout de force, l'engourdissement de ma main avait depuis bien longtemps envahi mon bras et mon épaule, grignotant petit à petit du terrain jusqu'à ma poitrine. Y aurait-il eu de funestes conséquences si le maléfice avait atteint un organe aussi important que le cœur ?

Lorsque le temps viendra, je retournerai dans la Forêt d'Or et lui poserai moi-même mes questions. Pour l'heure, je vais me contenter de demander à Arlienon de récupérer mes vêtements et attendre que l'on me rende mes carnets. Camellya doit avoir ses raisons.


Attendre sagement semble être mon laïus, Je vais en profiter pour m'occuper de Menelyan et Fanyarë, durant ces huit mois de course contre le temps, ils m'ont transportée à travers les plaines comme les bois, ils méritent toute mon attention. Autant commencer dès à présent.



Je refermai le carnet que je venais d'entamer et le laissai sur l'étude que Camellya avait mis à disposition. Attrapant une cape sur mon trajet, je sortis dans la fraîcheur du soir. Menelyan trottina à ma rencontre et posa sa lourde tête sur mon épaule.  Lentement, j'encerclai son cou et commençai à murmurer.


- Bonsoir mon ami, es-tu là pour me réconforter ? On dirait bien que vous vous occupez mieux de moi que je ne m'occupe de vous.


Fanyarë se colla à moi, m'écrasant contre son compagnon. Je la repoussai avec douceur mais fermeté avant de m'occuper d'elle. Après avoir vérifié que nulle blessure n'aurait pu leur porter préjudice et constaté que Camellya s'était occupée elle-même de leur confort. Je fus prise d'une envie subite de chevaucher Menelyan. Je sautais avec légèreté sur son dos et, bien que n'ayant pas ma selle ni ma position habituelle - gênée par ma robe qui me forçait à monter en amazone - il comprit tout de suite le signal. Je m'agrippai à sa crinière tandis qu'il partit au galop à travers les chemins du village. A côté de nous, Fanyarë suivait le rythme de l'étalon, mais elle finit par se faire distancer, constatant son absence à ses côté, Menelyan ralentit et revint sur ses pas pour la rejoindre. J'en profitai pour descendre de ma monture et observer l'endroit où il m'avait menée.

Le lieu était paisible, le bord d'un lac calme et visiblement poissonneux. Au loin je distinguai quelques maisons, des gens entraient et sortaient de chez eux, je les entendai rire et s'amuser. Je m'installai sur la berge et contemplai l'autre rive, écoutant les chants et la joie qui émanait de la fête. Sans bruit, je me mis à sangloter, j'avais la sensation que jamais plus je ne pourrai sourire comme ils le faisaient.

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