Je souris une dernière fois à Yualë qui me saluait d’un geste de la main en partant de chez moi.  Elle avait tellement grandi et tant changé en si peu de temps que j’en venais à douter de mes souvenirs. Les années et nos vies éloignées l’une de l’autre n’avaient pourtant en rien entamé sa droiture. Lorsqu’elle était venue me trouver afin que je fabrique son pendentif, je lui avais fait promettre de venir m’informer si elle rencontrait quelqu’un et elle avait tenu parole.

A cette époque, nous jouions ensemble, Yualë, Arkhel et moi. Insouciants, totalement inconscients de ce qui allait détruire ce bonheur que nous construisions à trois. Par choix, je n’avais jamais fait peser sur elle ces moments qui me manquaient pourtant. Malgré mon silence et sans rien savoir de ce qu’avait été notre histoire, elle semblait parfaitement ressentir les conséquences de notre passé commun et oublié. Elle n’avait jamais rien laissé transparaître devant moi, me laissant agir et parler à ma guise alors que le temps n’avait fait qu’accentuer nos différences naturelles. A plusieurs reprises, j’avais perçu sa mélancolie, je savais à quoi elle était liée mais n’avais rien dit car ce n’était pas là mon rôle.

Je me demandai si je ne devais pas la héler tant qu’elle était encore en vue pour briser ce silence et lui révéler ce qu’Arkhel lui cachait. Cela la soulagerait beaucoup de savoir ce qu’était en vérité cette vieille promesse.. Je me retins de justesse. Il devait le lui dire lui-même, je ne devais pas intervenir.

Ne voulant plus y penser avant de rejoindre mon frère, je me détournai de la fenêtre à travers laquelle j’observais son départ et montai rapidement les escaliers menant à l’étage réservé à ma petite famille. Aghamyr était assis dans un fauteuil à bascule, il se balançait doucement d’avant en arrière, tenant entre ses bras notre fille endormie. Je les rejoignis et m’assis sur l’accoudoir, posant ma tête sur l’épaule de mon époux afin de chercher un peu de réconfort. Il caressa ma main avec douceur, il me connaissait bien et savait à quel point parler à Yualë sans tout lui expliquer était éprouvant pour moi.


- Tu vas aller voir Arkhel ?

- Il va bien falloir le faire.

- Qu’as-tu pensé de son compagnon ?

- Il s’appelle Coriolan. Ils sont bien accordés, je n’ai senti aucune hésitation d’un côté ou de l’autre.

- Il n’y a donc plus aucun doute.


Je soupirai


- Non. Aucun.

- Au moins, les raisons de son départ sont limpides à présent.

- Exact. Il semblerait qu’il soit officier chez les Malta a Miril. Je pense malgré tout qu’elle voulait fuir Arkhel. Il lui avait déjà forcé la main pour qu’elle le suive jusqu’ici, ce n’était que justice qu’elle s’en aille. Je l’avais prévenu pourtant.

- Ton frère n’en fait souvent qu’à sa tête, je l’ai assez subi lorsque nous voyagions pour venir te voir.. Tu te sens mieux ?


Je me redressai.


- Bien mieux, ce sera plus facile à présent.


Je déposai un baiser sur la joue de ma fille puis sur les lèvres d’Aghamyr.


- Nous allons juste devoir préparer notre départ.

- Tu comptes vraiment faire le trajet jusqu’à Fondcombe dans ces conditions ?

- Arkhel ne peut pas continuer à la torturer avec cette fichue promesse. Il faut qu’il lui dise. Elle se sent terriblement coupable, alors qu’elle n’y est pour rien. Je sais qu’il l’a faite douter, il a tout fait pour ça. Je n’ai rien dit jusqu’ici parce que ce ne sont pas mes affaires, mais il faut qu’il arrête et qu’il lui dise la vérité.


Aghamyr se leva à son tour et déposa délicatement Araïva dans son berceau. Il vint m’aider à préparer nos affaires. Partir avec un enfant en bas âge n’était pas simple, je me refusais pourtant à me contenter d’envoyer une lettre à mon frère. Il avait déjà fuit une fois en acceptant ce contrat à Fondcombe pour ne pas risquer de la croiser de nouveau dans la Comté, il fallait qu’il assume ses responsabilités. J’allai le ramener, pieds et poings liés si nécessaire, et il allait tout lui raconter.