Deux chevaux laissaient glisser leurs sabots au milieu des feuilles de la Trouée des trolls. Leurs cavalières étaient silencieuses. Apprêtée en armure, Elanorel semblait perdue dans ses pensées. Le soleil, en reflétant sur le métal, renvoyait des lueurs argentées sur les arbres. Derrière elle, Nabi grignotait des noisettes pour s’occuper. La monture d’Elanor marqua une pause.


« Nous y sommes presque. »


L’Elfe désignait des maisons dans le creux d’un vallon.


« Pas trop tôt. »


Elanorel sentait que la jeune fille bouillait d’impatience. Elle pourrait bientôt s’exercer un peu.


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Comme à leur habitude, un petit groupe d’Elfes s’entraînaient à l’arc sur des peaux et des troncs d’arbre. Ils semblaient s’amuser et concourir les uns contre les autres, profitant des rayons de soleil de ce milieu d’après-midi d’automne.


« Alors, les gars, on parie que je vous bats ? »


Ils se retournèrent pour voir qui s’adressait à eux ainsi, en westron. Une silhouette fine, appuyée négligemment sur un grand arc, se détachait sur le soleil. Ils durent plisser les yeux et placer leurs mains en visière pour pouvoir détailler la personne qui les défiait. C’était une femme mince, relativement jeune de par ce qu’ils pouvaient en juger, portant des vêtements près du corps, des bottes adaptées aux longues marches et à l’escalade et des gants d’archer.

L’un des Elfes lui répondit en raillant qu’elle ne risquait pas de gagner. Il écorchait volontairement tous les mots qu’il prononçait en westron. Ils s’esclaffèrent.


« Imbéciles », pensa Nabi.


« Si vous pensez que vous allez forcément gagner, vous ne perdez rien à jouer contre moi, n’est-ce pas ? », insista-t-elle.

« Disons, hum, si vous gagnez, je ne touche plus jamais un arc de ma vie et vous aurez prouvé qu’une femme ne devrait jamais utiliser un arc. Mais si je gagne, vous me devrez une faveur. »


Ils finirent par accepter et se mirent d’accord sur l’exercice à réaliser. Les objectifs étaient de plus en plus lointains, mais immobiles. La chose était tellement aisée pour Nabi qu’elle estimait qu’elle aurait pu tirer les yeux fermés. Si les Elfes atteignaient les cibles,les flèches de l’Humaine étaient beaucoup plus précises. La distance commençait à devenir intéressante et ses adversaires étaient de plus en plus brouillons.

C’était au tour de Nabi. Elle sortit une flèche de son carquois et en embrassa la pointe. La flèche encochée, elle tendit son arc. Elle adressa une prière silencieuse à Bard pour qu’il guide ses gestes. Elle ferma les yeux et se concentra sur son ouïe et ses sensations. Elle laissa filer sa flèche.

Immédiatement, ils prirent le parti de ricaner.


« Tu crois vraiment pouvoir nous battre les yeux fermés ? »


« Allez voir où s’est plantée la flèche. »


La voix venait de derrière eux. Une Elfe en armure argentée les toisait du haut de son cheval à la robe beige laineuse, tout droit issu des steppes enneigées du lointain Forochel. Ses cheveux clairs semblaient gris, son visage était fermé et ses yeux froids. Elle descendit de sa monture et se dirigea vers eux avec aisance malgré le poids de ses protections, la main ostensiblement posée sur le pommeau de son épée.


« Qu’attendez-vous ? »


Son ton était ferme et autoritaire.

Ils s’exécutèrent et deux d’entre eux furent désignés pour pour partir à la recherche de la flèche de Nabi. Quand ils revinrent, il étaient blêmes. Ils rapportèrent ce qu’ils avaient vu à leurs amis, en parlant à voix basse et en lançant des regards effrayés vers la chasseuse.


« Alors ? », demanda Elanorel.


Un Elfe prit la parole en westron, hésitant.


« Sa flèche... elle... elle a traversé la gorge d’un Gauradan... elle est fichée dans un tronc d’arbre là-bas... »


« Vous avez perdu, admettez-le. », déclara Nabi, qui passait le temps en rangeant son carquois. « Vous me devez donc une faveur », poursuivit-elle.


La stupeur se lisait sur le visage des archers. Cette Humaine, elle allait exiger quelque chose d’eux et leurs noms seraient à jamais entachés s’ils revenaient sur leur parole.


« A quoi ça sert de vivre aussi longtemps si vous ne savez pas profiter de la vie... Connaissez-vous au moins sa valeur ? »


Elle tendit le bras vers eux et les pointa du doigt.


« Voici votre épreuve pour avoir perdu contre moi. Les jeux pour enfants sont terminés. Vous allez affronter la réalité. Un groupe de Gauradans est installé dans les ruines à l’Ouest depuis trop longtemps. Comment avez-vous pu laisser faire ça ? »


Elle marqua une pause et baissa son bras.


« Vous savez quoi faire. », conclua-t-elle en se dirigeant vers son cheval.


Un des Elfes se hasarda à poser une question.


« Mais, qui êtes-vous ? »


« Vous le savez très bien, ma venue a été annoncée. », répondit simplement Elanorel.


Ses jambes tremblèrent et il s’effondra.


« La... la Dame grise... », balbutia-t-il.


« En personne. »


Elle se pencha vers lui, leurs visages se touchaient presque.


« Vous représentez vraiment tout ce que je déteste. Hautains, imbus de vous-mêmes et supérieurs. Vous méprisez les autres peuples, mais c’est vous qui ne valez rien. J’ai de la peine pour vous. Vous vous trompez d’ennemis. »


Son petit discours ayant eu l’effet escompté, elle se redressa pour rejondre Nabi.


« Prête à reprendre la route ? »


« Et comment ! Je te ferai remarquer que je t’attends là. »


Elanor sourit. Alors qu’elles chevauchaient, côte à côte, elle se félicita de lui avoir demandé de l’accompagner.