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L’Ered Luin me semblait bien loin après mes péripéties musicales. Je n’avais qu’une envie, dormir du sommeil du juste, quitte à assommer toute personne m’en empêchant. Faisant confiance à Fanyarë et à son pied sûr, je la laissai me ramener. Camellya m’avait proposé de dormir chez elle, mais j’avais décliné son offre. Je voulais rentrer chez moi et me reposer au coeur de mon havre de calme.

Je somnolai à moitié quand Menelyan hennit pour signaler notre arrivée. Avec une lenteur qui m’exaspérait, je descendis de ma jument et m’occupai de mes deux montures afin qu’elles puisse se reposer autant que moi. Une fois la porte de l’écurie fermée, je soupirai et rentrai chez moi, maudissant intérieurement les escaliers menant jusqu’à ma chambre. Prenant à peine le temps de retirer ma ceinture et mes chaussures, je m’affalai sur mon lit et m’endormis aussitôt.


..~*~..


Je regardai depuis un moment un rayon de lumière ramper sur le parquet quand un bruit attira mon attention. Je n’avais pas besoin de me déplacer pour savoir que Menelyan avait encore réussit à trouver le moyen de sortir de son box. Je me levai et ouvris la porte avec la ferme intention de découvrir comment il s’y prenait.. Et tombai nez à encolure avec l’étalon qui broutait tranquillement mon paillasson. Pensant à une nouvelle facétie de mon ombrageux compagnon, je le repoussai sans ménagement. Il leva la tête et tourna les oreilles dans ma direction, mâchonnant tranquillement une fleur blanche. Aux dernières nouvelles, mon paillasson n’était pas fleuri. En baissant les yeux je découvris les restes de ce qui devait être un bouquet, à moitié dévoré par ma monture. Plutôt agacée par ses méfaits, j’éloignai Menelyan, bien décidée à réparer la porte de l’étable. A mi-chemin je me ravisai et laissai l’étalon trotter où il le désirait. Je revins vers l’entrée et récupérai les fleurs restantes, passant les minutes suivante à sauver celles que je pouvais pour les placer dans un verre. Je déposai celui-ci sur mon étude avant de prendre mon petit déjeuner puis de me charger du portail.

Le soleil était déjà bas quand j’en eus terminé avec les différents aménagements nécessaires afin que Menelyan ne fasse plus des siennes. Je pris la décision d’embarquer mes chevaux pour une balade vers les cascades où j’aimais me baigner. Je ne rentrai de mon escapade qu’après avoir mangé un repas dans une auberge, n’ayant pas envie de cuisiner.


..~*~..


Le réveil fut plus doux que celui de la veille, Menelyan piaffait de mécontentement, signe que j’avais atteint mon but. Au lieu de descendre directement me préparer quelque chose à grignoter, je m’installai à ma poussiéreuse coiffeuse et en découvris le miroir.

Si le temps n’avait pas de prise sur mon visage, il en était autrement pour d’autres aspects de ma vie tels que la fatigue, la faim ou simplement mon état d’esprit. Je me trouvais pâle et l’air fatiguée, les quelques semaines passées dans la Comté avaient effacé une partie des conséquences de mes dernières aventures, mais il en restait des traces. Je déplaçai ma chevelure que je n’avais plus entretenue depuis des semaines et avisai une paire de ciseaux.


Et lui ? Qu’aurait-il préféré ?


Ma propre réflexion me surprit si bien que je me levai, oubliant l’idée de couper mes cheveux en une longueur plus raisonnable. Perturbée, je voulus sortir de chez moi profiter du soleil matinal et manquai de marcher sur le bouquet déposé sur le paillasson. Je me massai les tempes, certaines d’être encore plus fatiguée que je ne le pensais, refermai la porte puis l’ouvris à nouveau. Le bouquet était toujours là. Je récupérai les fleurs et les déposai sur l’étude à côté du verre. L’expéditeur devait être la même personne. Ou bien le fait que deux inconnus m’avaient offert la même chose à deux jours d’intervalle était une coïncidence. Et je ne croyais absolument pas au hasard.

Lassée de réfléchir et de me poser des questions sur des sujets qui n’auraient sans doute pas de réponses, j’arrangeai les fleurs dans l’unique vase de la maison et partis préparer mes affaires pour chasser.


Décidément, le calme n’était pas de tout repos. Au retour de la chasse, notre petite troupe avait croisé un détachement orc. Certes, il était bon de pouvoir donner des coups de bouclier en étant à l’aise. Certes, il était agréable d’occire quelques peaux vertes. Certes, ces combats m’avaient manqués. Mais revenir chez soi avec un étalon couvert de sang vous ayant joyeusement éclaboussée en piétinant les corps était moins agréable.

Je me retrouvai à présent armée d’un seau rempli d’eau d’une main et d’une éponge de l’autre, à tenter de m’approcher du fougueux animal pour retirer tout ce sang. C’était peine perdue, Menelyan avait envie de jouer, il sautait au loin dès que je m’approchais et évitait sans peine les gerbes d’eau que je lui envoyais. Ne m’avouant pas vaincue, je retirai ma ceinture qui alourdissait ma démarche ainsi que mes spallières et mes gants. Je m’élançai à la poursuite de l’étalon, m’amusant de le voir courir pour m’esquiver. Il fit un brusque écart et se campa devant moi, me donnant un coup de tête ayant pour effet de laisser une bande écarlate en travers de mon haubert.


- Et bien voilà. Tu essaies de me rendre des couleurs Menelyan ?


L’animal tourna les oreilles vers moi, je récupérai mon seau et en jetai son contenu sur lui, mais il s’était déjà déplacé. Abandonnant l’idée d’éviter de me mouiller, je me ruais sur lui et agrippai ses naseaux. Je savais qu’il ne pouvait que me suivre, je l'entraînai jusqu’à l'abreuvoir et usai de ma main libre pour l’éclabousser. Il me poussa en arrière, me faisant basculer dans l’eau. J’éclatai de rire, surprise de constater que j’en étais encore capable. Je me redressai et retournai auprès de Menelyan, enfin calmé qui me laissa le nettoyer.

Le soir même, installée à mon étude, ma plume à la main, je me contentai d’écrire quelques mots sur mon carnet.



28 octobre XXX5


Je ne sais pas ce qui m’a le plus étonnée entre le surprenant bouquet de ce matin et la douche forcée de cet après midi. Mais une chose est à présent certaine.. La vie continue quoi qu’il arrive et elle reprend ses droits jusque dans mes sourires.


..~*~..


C’est sans appréhension et même un peu de curiosité que j’ouvris la porte le lendemain matin. Un bouquet légèrement différent avait été déposé sur le pas de la porte. La situation commençait à m’amuser. J’amenai les fleurs à l’intérieur afin de les comparer avec les autres et constatai que si les blanches changeaient, les bleus restaient des myosotis. N’ayant plus rien pour les arranger, je récupérai le seau que j’avais utilisé la veille et y les y disposai comme je le pouvais. Je commençai ensuite à écrire une courte missive.



A l’attention de Messire Fleuriste,


J’ai constaté votre volonté de faire plaisir à ma détentrice de par vos présents. Cependant, il me faut vous annoncer une nouvelle d’importance capitale : Elle n’a plus de vase et vous prie de croire qu’elle apprécie vos attentions bien qu’elle aurait besoin d’utiliser son seau pour autre chose qu’y déposer des fleurs.


Bien à vous.


Votre fidèle serviteur, Paillasson.



Le soir venu, je déposai la feuille sur le pas de ma porte avant d’aller me coucher.


..~*~..


Je me réveillai avant le soleil et écoutai les bruits de la nuit, le pas léger de quatre sabots se fit entendre. J’aurais eu tout loisir de me lever et de regarder à travers la fenêtre mais je n’en avais aucune envie. Je préférais réfléchir aux raisons qui pouvaient pousser quelqu’un à déposer des fleurs pour moi chaque matin avant l’aube. Lorsque je fus certaine que l’inconnu était parti, je sortis et récupérai  le bouquet sur le palier.



Messire Fleuriste,


Vos attentions touchent ma maîtresse, elle se pose des questions quant aux raisons qui peuvent pousser quelqu’un à se lever avant l’aube pour cueillir des fleurs.

Auriez-vous l’amabilité de lui répondre ?


Votre dévoué porteur, Paillasson.


..~*~..


31 octobre XXX5


Ce matin encore un bouquet m’attendait, déposé dans un récipient. J’en déduis que ma lettre a été lue, j’espère avoir une réponse à ma question demain.


..~*~..


1e novembre XXX5


Sans réponse de sa part, j’ai déposé une nouvelle lettre lui reposant la question avec un peu plus d’insistance. J’ai bien mon idée, mais je préfère être certaine de ce que je crois.


..~*~..


2 novembre XXX5


Rester chez moi n’est plus possible, rien ne me retient ici sinon ces manquements de ma mémoire. Je sais qu’il s’est passé ici des choses que j’ai oublié, il m’arrive de m’asseoir non loin de la cheminée, à l’étage et de réfléchir à ce qui me trouble lorsque je passe à côté. Je m’éloigne de plus en plus souvent, rentrant à contre coeur car je n’ai nulle part d’autre où aller. Je vais reprendre la route. J’ai besoin de respirer et d’arrêter de penser à tout ce qui a bien pu se produire. Je me suis fait une promesse, la tenir s’avère impossible dans cette contrée.

J’ai de nouveau écrit une lettre à mon inconnu, pour m’occuper j’avais taillé quelques vêtements  dont une cape bien trop grande pour moi. Je suppose que j’étais distraite. Je l’ai déposée sur le palier avec le reste. Nous verrons bien.


..~*~..


3 novembre XXX5


“Ces fleurs parlent pour moi.”


C’est la réponse que j’ai eu à ma demande.

En allant récupérer ce qui me serait nécessaire pour mon voyage, je me suis arrêtée auprès d’un jardinier et lui ai demandé ce que pouvaient bien signifier des bouquets composés de myosotis. Il m’a répondu en souriant que cette fleur avait de nombreux noms, “Ne m’oubliez pas” étant le plus courant. En rentrant chez moi, j’ai déposé mon matériel et je suis montée récupérer la lettre que Camellya m’avait transmise avec le jouet. L’écriture était la même et le message limpide.

Je pars demain. J’ai décidé de l’attendre. J’aimerais lui parler. J’espère qu’il m’écoutera..