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Le paysage était morne en ce triste matin d’automne. Afin d’éviter de manquer mon rendez-vous, je m’étais réveillée très tôt et avais préparé mes montures pour ne pas laisser le sommeil me rattraper. J’avais fini par m’installer contre les colonnes décorant l’entrée de ma demeure, me réchauffant dans ma couverture qui ne me quittait plus. Lorsque le pas de son cheval se fit entendre, je ne bougeai pas, le regard posé sur mes mains. Le bruit de sabot s’arrêta et fut remplacer par celui de deux pieds. Je sentis une hésitation. Ayant peur qu’il ne parte avant de me laisser le temps de prendre la parole, j’élevai la voix.


- Attendez.. Je ne veux pas vous voir si c’est ce que vous désirez. Je souhaite juste vous parler.


La personne ne bougeait plus.


- J’ai beaucoup de choses à vous dire. J’ai envisagé de vous écrire une lettre, mais je n’ai pu m’y résoudre.


Maintenant que j’avais son attention, j’en perdais mes mots.


- Je voudrais m’excuser auprès de vous.. Bien plus que mes souvenirs, je regrette de n’avoir rien dit au sujet de ce qui m’arrivait. J’ignore tout des raisons qui m’ont poussée à rester silencieuse, je me suis refusée à lire ce que j’ai pu écrire concernant votre personne afin de respecter votre décision. Connaissant mon caractère, j’en ai déduis que je voulais avant tout vous protéger. Je sais qu’au début de mon voyage j’ignorais tout de ce qui m’arrivait. Il a du se produire quelque chose qui m’a poussée à ne pas vous expliquer les faits par la suite.


Je fis une pause. Non loin, j'aperçus la robe argentée de son cheval qui contrastait avec le paysage encore sombre.


- Je me suis promis d’arrêter de m'apitoyer sur mon sort, de ne plus me laisser aller à la tristesse. Je vous demande de faire de même. Nous ne savons pas ce que l’avenir nous réserve et j’espère de tout coeur que vos espérances seront comblées. Mais si jamais il devait en être autrement, pensez que mon plus cher désir est de vous savoir heureux quoi qu’il advienne.


J’avais la gorge nouée, tout ce que je voulais lui transmettre s’emmêlait sous l’émotion.


- J’aimerais.. J’aimerais vous rendre vos promesses.. Ne croyez pas que j’ai pu ne pas tenir à toutes celles que vous auriez pu me faire. Elles étaient destinées à celle qui m’est à présent étrangère.. Quoi que vous ayez pu dire ou faire, je souhaite vous en libérer, que vous puissiez vivre sans vous sentir obligé envers moi.


J'effaçai d’une main les quelques larmes qui avaient roulé sur ma joue.


- Je vous ai aimé. Je le ressens lorsque mes pas m’amènent dans certains lieux qui me sont étrangement familiers. Je dois partir pour respecter ma promesse, ici je suis incapable d’être en paix avec moi-même. Ces émotions qui font référence au néant de ma mémoire me troublent et m’empêchent d’avancer.


Je m’arrêtai un instant pour reprendre mon souffle.


- J’aimerais vous dire qu’un jour je me souviendrai de tout, mais ce serait vous mentir. Je peux seulement vous promettre que jamais je n’oublierai ce que je sais de vous et que je chérirai vos mots jusqu’à la fin de mes jours.


Ayant transmis ce qui m’était important, je luttai contre les sanglots qui cherchaient à m’envahir. Je n’entendis pas sa monture approcher mais sentis son museau se poser sur ma joue. Je voulus serrer contre moi la tête de l’animal comme je l’aurais fait avec Menelyan ou Fanyarë mais quelque chose sur sa bride me gêna. L’inconnu avait accroché un bouquet accompagné d’un message. Je récupérai les deux et laissai repartir le cheval. Tremblante, j’ouvris la lettre pour la lire.



Ma Dame,


Chacun de vos mots est comme un poignard pour ce pauvre coeur qui vous a attendu si longtemps. Une dame de ma connaissance dit que promesses et serments n'engagent que ceux qui les font. Je suis un homme de parole. J'imagine que ma douleur ne fait que commencer.

Ces fleurs ne sont qu'une pâle représentation de mes sentiments pour vous, mais il ne me reste que ceci à vous offrir puisque mon coeur est déjà vôtre.



Je comprenais ses sentiments qui répondaient aux miens d’une certaine façon. J’avais pris la résolution d’être sincère, cela impliquait mon départ et de dire au revoir au passé. Je n’étais personne pour choisir à sa place ce qu’il allait faire. Je ne pouvais que le libérer de nos anciennes attaches afin que ses décisions puissent être uniquement siennes.

Lentement, je me relevai et rentrai chez moi, ne me laissant aller au chagrin qu’une fois la porte refermée. Quand je ressortis, mes dernières larmes coulées sur ce temps révolu auquel je ne pouvais rien, il n’était plus là.