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Coriolan préparait son départ. Tout était allé assez vite depuis les festivités d’automne.

Il avait manqué de prudence quand il avait rattrapé Yualë pour éviter qu’elle ne tombe. La sentir contre lui l’avait touché plus qu’il ne l’aurait pensé, cependant il avait réussi à se ressaisir assez vite pour ne pas faire tout capoter. Il avait fait envoyer du vin à leur table, espérant que Camellya comprenne le signal. Et il avait visiblement fait mouche. Même l’Elfe avait bu, mais elle n’avait pas donné l’air de reconnaître le vin qu’ils avaient partagé au lac de Lézeau.

Peu importait. Il l’avait entendue jouer et chanter. Après cela, il avait compris qu’il ne pouvait pas faire machine arrière. Il lui était impossible d’aimer une autre, rien que l’idée lui paraissait hors de propos.

Eloigner Arkhel avait été si facile. Cela le rassurait de le savoir loin pour longtemps. Son arrogance et sa manie de surgir à n’importe quel moment étaient une menace trop sérieuse. Coriolan avait demandé les services de Myralia. Si elle n’était certes pas aussi expérimentée pour le combat que les autres protégés de Camellya, elle était de loin la plus fine manipulatrice. La jeune femme n’avait pas eu à user de tous ses charmes et dagues pour convaincre l’Elfe d’accepter ce contrat pour Fondcombe. Coriolan n’avait certes pas agi avec la plus grande des finesses, mais il savait que Camellya comprendrait. Il ne pouvait se permettre d’avoir un rival potentiel dans les parages.


Coriolan avait suivi Yualë quand elle était retournée en Ered Luin. Déposer des fleurs sur le pas de sa porte représentait un signe fort pour lui. Il les choisissait avec soin. Saisirait-elle la signification de ses bouquets ?

Elle avait laissé un premier message à son intention se plaignant de ne pas avoir assez de vases. Ce genre de réflexion lui ressemblait tout à fait. Il l’avait pris au pied de la lettre et les fleurs étaient désormais livrées dans des récipients.

D’autres messages avaient suivis. Il avait fini par répondre, aussi simplement que possible pour ne pas dévoiler son identité, « Ces fleurs parlent pour moi ». Avait-elle compris le sens des myosotis présents dans tous les bouquets ? Les autres fleurs, toujours blanches, signifiaient la pureté de son amour et sa fidélité inconditionnelle.

Un matin, il avait trouvé une cape qu’elle lui offrait. Voyant le travail délicat et les heures de couture que cela représentait, son coeur se serra un peu. Elle semblait faite pour lui. Si Yualë n’avait plus de souvenir de lui, quelque chose en elle savait. Il se raccrocha à cette idée.


A l’aube, Coriolan y était retourné. Il avançait au pas, comme d’habitude, il profitait de la fraîcheur de la fin de la nuit. A la limite des arbres qui marquaient l’entrée du jardin, il mit pied à terre. Avec ses vêtements sombres, il essayait de se fondre dans les ombres et sa capuche lui cachait le visage. Car il avait vu qu’elle était là, assise à sa porte, elle l’attendait. Il retint son souffle. Elle l’avait vu, c’était certain, la lumière de la lune éclairait la robe grise de son cheval. Il resta immobile pour voir ce qu'elle comptait faire.

Yualë commença à parler. Cette voix... Il se mordit les lèvres pour ne pas lui répondre. Elle s’excusait et le libérait des promesses qu’il avait pu lui faire. Un instant, il crut que son coeur s’était arrêté de battre. Une part de lui voulait la rejoindre pour la prendre dans ses bras, l’embrasser et la rassurer. Mais il ne pouvait se le permettre. Il prit alors un papier dans ses sacs et lui écrivit sa réponse en s’appuyant sur la selle de sa monture.


Ma Dame,


Chacun de vos mots est comme un poignard pour ce pauvre coeur qui vous a attendu si longtemps. Une dame de ma connaissance dit que promesses et serments n'engagent que ceux qui les font. Je suis un homme de parole. J'imagine que ma douleur ne fait que commencer.

Ces fleurs ne sont qu'une pâle représentation de mes sentiments pour vous, mais il ne me reste que ceci à vous offrir puisque mon coeur est déjà vôtre.


Il ne signa pas. Il souffrait mais savait que cette souffrance était partagée. Il accrocha les fleurs et son message à la bride de sa monture et il lui demanda d’effectuer cette livraison spéciale. Le cheval gris hennit puis avança au pas vers la porte de la demeure. Il salua l'Elfe en posant son museau contre sa joue.

Coriolan attendit qu’elle lise. Il voyait les larmes sur son visage et il sentait ses propres larmes couler. Au moment où elle entra chez elle, il fit quelques pas à découvert, la lune l’éclaira. Il se jura une fois de plus qu’il irait jusqu’au bout et fila se préparer pour pouvoir la suivre.


Coriolan était aussi prêt qu’il le pouvait. Il n’avait pas reçu tous les remèdes qu’il avait demandés à Camellya, mais il n’avait plus le temps. Il lui fallait prendre des risques, mais sa détermination ne faillirait pas.