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Entendre les aveux de Coriolan m’avait bouleversée, il m’avait été difficile de ne pas réagir et d’attendre qu’il ait terminé avant de lui donner ma réponse. Appuyée contre son dos, les bras glissés autour de sa taille, je profitais pleinement de l’instant. Il semblait saisi par ma réaction, mais il finit par m’attirer à lui et me serrer contre lui. Je me hissai sur la pointe des pieds et murmurai à son oreille.


- Je savais..


Il me regarda, dans ses yeux je pouvais autant lire sa tendresse que des questions silencieuses.


- Cela s’est passé il y a quelques jours..


..~*~..


La lettre m'obsédait, j’avais beau triturer ma mémoire, chercher à me souvenir à qui elle était destinée, je n’en avais pas la moindre idée. Cela faisait plusieurs jours que je l’avais récupérée, elle était déposée sur l’étude de ma chambre, bien en vue, comme pour me rappeler qu’elle existait. J’avais rempli mes obligations envers Elénd et Celywiel : Porter mon armure et faire quelques passes d’arme devant des gardes que je ne connaissais pas pour le premier et amener Menelyan ainsi que Lossëa faire plusieurs balades en forêt avec l’autre. Ne restait que l’enveloppe.

Résolument, je pris celle-ci et sortis, je n’avais pas envie d’être dans ma chambre pour l’ouvrir. Je me rendis dans un coin calme de la ville, non loin des bassins de Celurlin et sortis les quelques feuillets protégés par leur écrin de papier.



4 Août XXX5


Ma très chère moi,


Tu permets que je te tutoie ? J’essaie de m’imaginer en train de relire ces mots, dans quelques semaines ou dans quelques mois, ignorant totalement ce qui se cache sur ces pages. C’est assez déconcertant. Je suppose qu’il doit en être de même pour toi.

Si tu reçois cette lettre, c’est que tu as pris la décision de ne pas lire ce que j’aurai écrit dans mes carnets et que tu cherches à te renseigner d’une autre façon en posant des questions à la seule personne qui pourra te répondre. C’était sans compter sur moi ! Crois bien que lorsque tu auras terminé ta lecture, tu sauras tout ce qui compte pour moi et - je l’espère - pour nous.

Tu dois être déboussolée, je te conseille de t’asseoir avant de poursuivre.



Il y avait en effet de quoi être perturbée, suivant mes propres conseils, je m’assis sur l’un des bancs qui bordait l’eau avant de reprendre ma lecture.



Es-tu bien installée ?



J’eus soudain très envie de me répondre tant cette lettre semblait me parler.


Je vais essayer de commencer par le début. Tu connais la route entre Fondcombe et Gwingris, sache que durant ce trajet, je n’ai fait que penser à la personne qui doit te manquer ainsi qu’à que je pouvais faire pour éviter de l’oublier.. Ou réparer les choses si jamais mon plan échouait.

J’ai donc réfléchi à ce qu’il pourrait bien me passer par la tête dans le futur et aux questions que je me poserai.



Cela expliquait déjà pour quelles raisons je ne pouvais me souvenir de grand chose concernant ce voyage. Si j’avais passé mon temps à penser à celui que j’aimais alors j’avais forcément oublié une grande part de ce qui c’était produit durant cette période.



Voici la première : Pourquoi ne pas lui avoir dit ce qui m’arrivait ?

Ma chère Yualë, j’ai bien essayé de lui écrire car je n’ai plus de temps pour retourner le voir et lui dire les choses en face, mais j’en suis incapable. Tu le vois à la qualité de mon écriture, ta main n’est pas des plus sûres. Encore tout à l’heure, je ne pouvais pas même l’utiliser, il m’est impossible de la bouger lorsque les soins d’Arlienon cessent de faire effet.

Lorsque je cherche mes mots pour lui annoncer ce qui nous attend, tout s’embrouille, c’est un peu comme si je bafouillais, même si ce terme ne s’applique pas à l’écriture.

Et puis, imagine sa réaction ! Je pense qu’il serait capable de négliger sa propre sécurité pour pouvoir rapidement me rejoindre. Nous avançons très vite Arlienon et moi, nos montures nous permettant de ne pas ralentir notre cadence. Le temps que mon message ne lui parvienne et qu’il ne se déplace, nous serons déjà à Caras Galadhon. Peut-être aurais-je même eu l’occasion de parler à la Dame.

Est-ce bien utile de prendre le risque qu’il ne réagisse de façon inconsidérée alors que les dés sont déjà jetés ? Que pourrions-nous faire si l’un d’entre nous deux mourrait en ne prenant pas garde aux dangers jonchant le chemin jusqu’à la Lothlorien ? Que les événements se passent bien ou mal, ne pas le protéger de lui-même est hors de propos et nous savons toi et moi qu’il souffrira de la situation quoi qu’il advienne.

Nous sommes pareilles, tu comprendras aisément toute la sagesse de ma décision et pourra le lui expliquer. Je te fais confiance.



Ce point de vue était largement défendable à mes yeux. J’espérai que cette personne avait deviné les raisons pour lesquelles je m’étais tu, ne sachant pas de qui il s’agissait, lui transmettre mon message était quasiment impossible.



Car oui, je vais répondre à ta deuxième interrogation. Je sais que s’il s’était présenté à toi, tu n’aurais pas fais le voyage jusqu’ici pour que la Dame t’éclaire de son savoir : Qui est donc celui que tu aimais tant ?



J’arrêtai ma lecture, troublée par ces mots que j’avais laissés à mon attention. Voulais-je savoir de qui il s’agissait ? Il n’avait pas voulu se montrer à moi alors qu’il en avait eu l’occasion lors de notre entrevue matinale avant mon départ. Me demandant quelle était la meilleure décision à prendre, je lus une ligne supplémentaire.



J’imagine que tu auras fait une pause avant ces révélations, je te demande de continuer ta lecture, il est très important que tu saches.



Combien de temps de réflexion m’avait-il fallu pour deviner mes propres réactions ? Probablement autant que le trajet que j’avais fait. La route entre Fondcombe et Gwingris était plutôt longue, je m’imaginais très bien, perdue dans mes pensées, organisant chacune de mes actions futures pour transmettre ce que je savais au travers de cette lettre. Au cas où j’échouerais.

Puisque je m’encourageai moi-même à apprendre la vérité, c’est qu’il devait y avoir une bonne raison, je repris donc ma lecture, angoissée par ce que j’allais découvrir.



Je n’avais pas prévu qu’il se produirait quoi que ce soit, j’organisais déjà mon voyage lorsque l’impensable est arrivé. Alors que j’étais persuadée depuis bien longtemps qu’il m’évitait, il m’a donné rendez-vous et je n’ai pas besoin de te décrire le reste. J’ai tenté de lui expliquer, la veille de mon départ, mais cela m’a été impossible. Je ne savais pas à ce moment-là ce qu’il m’arrivait ni où tout ce que j’avais découvert me mènerait, je pensais rentrer rapidement. Et voilà où nous en sommes..



Il était étrange d’en apprendre plus sur la relation que j’avais pu avoir avec cette personne. J’ignorais tout de lui et c’était la première fois que quelqu’un me parlait du couple que nous avions formé. Je me sentais étrangement émue.



Je ne vais pas te raconter notre histoire, ce n’est pas là le propos de cette lettre, tu pourras de toi-même la lire au travers des carnets de ce voyage. Pour toi, je vais tout consigner, jusqu’au moindre détail, car nous savons toi et moi ce qu’il s’est déjà produit et à quel point tu as manqué de confiance envers tout ce que l’on a pu te dire. Il n’est pas question que cette histoire tombe dans l’oubli et ce ne sera pas qu’une étrangère qui te transmettra la vérité, mais celle qui était toi en un autre lieu et un autre temps.



Ainsi, j’avais tout écrit.. J’avais toujours eu du mal à croire en ce que me disait Arkhel lorsqu’il tentait de me parler de notre enfance commune. Le regard des autres est différent de celui que l’on porte soi-même sur ses actions et sur ce qui nous entoure. Qu’aurais-je pu penser de ce que l’on pourrait me dire de ma relation avec lui ? J’étais la mieux placée pour en parler et expliquer ce que je ressentais. Même si je ne me souvenais de rien, ces carnets étaient un trésor retraçant notre histoire et mes sensations. J’avais soudain envie d’être chez moi pour les consulter. Mais il y avait plus important pour l’instant.



Venons-en plutôt à ce qui nous intéresse. Je le connais assez pour savoir qu’il n’aura jamais été très loin de toi, restant le plus proche possible, te protégeant de son mieux, sans toutefois faire peser sur toi la difficulté de sa situation. Si tu l’as tant aimé, c’est principalement grâce à ces qualités. Il est de ces hommes qui mérite le plus grand des respects, sa discrétion et son honnêteté n’ayant d’égal que sa fidélité.

Vois-tu, nous nous sommes rencontrés en Eregion, il y avait quelque chose dans son regard et son attitude qui m’a donné envie d’apprendre à le connaître. Je suis une Elfe, cela a probablement influencé mes sentiments, mais c’est ainsi. Il est la seule personne a ne jamais me voir autrement que comme une femme, ma fonction de gardienne passant au second plan. Je sais qu’il ne doute pas de ma capacité à gérer les situations les plus difficiles par moi-même, mais c’est ainsi, il se comporte de la même façon que je le fais auprès de ceux qui ont besoin de mon aide. Il n’hésite pas à s’exprimer avec la plus grande des franchises, même lorsqu’il s’agit de parler de ce qu’il ressent. Je me suis toujours sentie en confiance avec lui, peut-être parce que c’était la première fois que je voyais un regard à ce point en accord avec des mots..

Je suppose qu’une description physique serait appropriée étant donné les circonstances. Sache déjà qu’il s’agit d’un Humain, il est plutôt grand et relativement musclé (ce qui n’est pas vraiment étonnant puisqu’il est également gardien). Ses cheveux sont bruns, assez longs, il les attache pour ne pas être gêné durant les combats. Ses yeux ont une couleur assez surprenante, un bleu-vert assez sombre, on peut facilement lire ce qu’il pense au travers de son regard. C’est un homme du Rohan, il se déplace aussi aisément à cheval qu’à pied, ses deux montures sont à l’écoute de ce qu’il leur demande, c’est assez déstabilisant au début.



Je n’avais pas besoin de plus, j’avais reconnu la personne avant de finir de lire sa description, mes yeux s’attardèrent un long moment sur le nom que je lisais à la ligne suivante..



Quant à son nom, il s’agit de Coriolan.



Coriolan.. C’était lui qui m’avait accompagnée tout au long de mon voyage.. C’était lui qui m’avait guidée au coeur de la Moria.. C’était avec lui que je me sentais si bien et avec qui je désirais être.. C’était tout simplement Lui.

Beaucoup de choses me semblaient plus évidentes à présent, dans ses réactions comme dans les miennes. Combien de temps lui avait-il fallu pour faire en sorte de me rencontrer de nouveau ? Combien de sacrifices avait-il consenti à faire en choisissant de ne pas m’oublier..

J’avais bien du mal à retenir les larmes qui menaçaient de couler. J’étais soulagée de savoir que mon sang ne m’avait pas trahie et en même temps inquiète à l’idée que notre baiser lors de notre séparation dans la Moria puisse être son cadeau d’adieu au vu de son état de santé.

Il ne restait que quelques paragraphe à la lettre, je décidai de les lire pour éviter de penser au pire.



J’avais envisagé de continuer ma description en te donnant moult détails, voire en t’offrant un dessin de lui, mais j’ai jugé tout cela inutile. Ce que j’ai écrit suffi amplement s’il est venu à toi. Mais s’il n’est pas resté à tes côtés, si tu ne le connais pas, c’est que ses sentiments pour toi n’étaient pas assez forts pour traverser cette tempête. Tu sais qu’il ne s’agit pas d’un reproche, je ne doute pas que, comme moi, tu ne désires qu’une chose : Que cette personne puisse être heureuse, avec ou sans toi. Si sa décision a été de t’oublier, alors c’est qu’il devait en être ainsi et que nous devons toutes deux respecter son choix.


Je voudrais poursuivre cette lettre pour t’aider à illuminer d’autres points d’ombre, mais comme je te l’ai dit plus haut : Mon temps est compté et l’efficacité des soins d’Arlienon décroît de jour en jour. Si je veux pouvoir tenir ma parole et t’écrire ce qui te sera nécessaire, je dois commencer dès à présent. Il te faudra trouver seule ce qui manquera à ces souvenirs couchés sur le papier. J’espère que ce que je vais te léguer à travers mes carnets répondra à plupart de tes interrogations. Et j’espère bien plus que Coriolan sera à tes côtés lorsque tu les ouvriras.



Finalement, il ne reste qu’une question ayant une importance capitale à l’instant ou j’écris mais à laquelle je ne peux répondre.. Sans doute, en as-tu la possibilité à présent que tu sais tout. Même si ce qui nous sépare l’une et l’autre est forgé de temps plutôt que d’espace, j’ose la poser en espérant que tu y répondras pour moi.


Mes sentiments pour lui ont-ils changé ?



La lettre était signée à mon nom, je fis glisser mes doigts sur le papier, me remerciant d’avoir laissé ces mots pour apaiser mon trouble et répondre à mes questions. En souriant légèrement je chuchotais, m’adressant à celle que j’avais été autant qu’à moi-même.


- Tes sentiments n’ont pas changé Yualë.. Ou bien peut-être sont-ils devenus plus forts.. Tu peux reposer en paix, tu as transmis ton message..


Je repliai la lettre avec soin et presque déférence avant de la glisser à nouveau dans son enveloppe. Il ne me restait qu’une chose à faire à présent. Attendre. Car s’il était encore en vie, il viendrait à moi.


Quoi qu’il advienne.