La nuit ne m'avait pas offert un
sommeil réparateur et je m'étais retrouvée à imaginer le plafond familier au
milieu de ce lieu sombre. La vie semblait avoir suspendu sa respiration le
temps d'une courte pause, ne me laissant pourtant pas de repos. Incapable de me
rendormir, j'étais finalement sortie à la recherche d'un peu de compagnie dans
l'écurie. Fanyarë dut sentir ma présence, car elle s'approcha aussitôt et posa
sa lourde tête sur mon épaule comme pour me réconforter, j’entourai son large
cou de mes bras et profitai de sa chaleur.
J'étais venue ici pour une raison bien précise, je recherchais un indice, une
piste me permettant de comprendre des fragments de mon passé qui s'assemblaient
mal. Bien qu'ayant l'habitude depuis très jeune de tout noter sur des carnets
que je conservais précieusement chez moi, je n'avais trouvé aucune réponse à
mes questions dans ceux-ci et seulement découvert qu'à certains endroits
manquaient clairement les pages qui avaient été arrachées avec soin. Les seules
personnes ayant connaissance de ma manie lorsque j'étais enfant n'étaient
autres que mes deux parents, mais ils étaient morts quelques années auparavant,
ne me laissant pas la possibilité de leur demander ce qu'il en était. Après
plusieurs semaines de réflexion, j'en étais venue à la conclusion que ces
événements m'avaient été délibérément cachés et que s'ils avaient voulu m'en
parler "plus tard", ils l'auraient fait bien avant leur mort. Cependant, je ne
pouvais m'empêcher de chercher, jusqu'à revenir en ces lieux hantés par leur
présence pour y trouver un élément me rapprochant de la vérité qui me semblait
être d'une importance capitale.
Fanyarë effleura ma main gauche et s’écarta brusquement, me rappelant les
raisons précises pour lesquelles j’étais venue. Lentement, je m'éloignai de la
jument pâle et pris le chemin de la maison. La lumière n'était pas assez forte
pour continuer mon inspection, aussi je retournai près de ma couche de fortune
pour y prendre un carnet ancien et m'installai près du feu. Loin de l'ouvrir à
la dernière page où j'avais écrit, je le feuilletai jusqu'à retrouver le
passage qui m'intéressait : deux feuillets où seuls quelques mots avaient été
griffonnés à la hâte. Lentement, je trempai la plume dans l'encre et inspirai
profondément.
20 novembre XXX2
Le capitaine de la garde vient de m'annoncer la mort de mon
père.
Annexe 27 janvier XXX5
Je venais de terminer mon tour de garde avec mes compagnons et j'allais me
rendre dans ma chambre lorsque le capitaine m'a interpellée, il avait une
mauvaise nouvelle à m'annoncer et comme ma mère était morte depuis quelques
semaines, je savais à quoi m'attendre.. Mais peut-on seulement savoir comment
l'on va réagir dans ce genre de situation ? Je me souviens d’avoir appris la
nouvelle sans rien dire, d'être retournée dans mes quartiers et puis c'est le
trou noir.
Avant que je puisse m'en rendre compte, j'étais en dehors de la ville de
Caras Galadhon, un sac contenant mes effets personnels posé en travers de mes
épaules et mes mains serrant fébrilement la bride de Fanyarë. À cette prise de
conscience, je me suis arrêtée, complètement interloquée. À la lumière de ce
que je sais à présent, je pense pouvoir affirmer que l'on m'a laissée
volontairement partir. Personne ne quitte la Dame de cette façon sans son
consentement.
La nuit tombant, j'ai posé mon paquetage et monté un campement de fortune,
je crois que c'est à ce moment-là que j'ai pleuré pour la première fois sur la
mort de mes deux parents.
Le lendemain matin, je me suis réveillée avec la désagréable sensation
d'être observée. Menelyan, cet étalon que j'essayais de dresser depuis des mois
et qui se montrait rétif à toute tentative d'approche se tenait à côté de moi.
J'ai tout de suite vu que quelque chose n'allait pas, il était blessé en
plusieurs endroits et ne s'appuyait plus sur son antérieur droit. La scène de
son évasion m'est immédiatement venue à l'esprit. Lui, défonçant le box qui lui
était attribué et galopant en évitant les gens sur son passage. À ce moment-là,
il n'y avait plus de mauvaise nouvelle ou quoi que ce soit d'autre que nous
deux. Pour la première fois j'ai pu l'approcher pour prendre soin de lui.
Encore aujourd'hui, bien que réticent à toute proximité d'étranger et ayant une
habitude étrange de piétiner systématiquement les corps des Orcs que je peux
occire, il reste fidèle à ce pas qu'il a fait vers moi ce matin-là.
J'ai marché durant plusieurs jours de cette façon, je n'ai pris aucune note
sur ces voyages, ce qui peut se comprendre puisque le terme d'errance convient
bien mieux à ce qu'il s'est passé, je me souviens avoir quitté la Forêt d'Or
pour rejoindre les montagnes glacées à travers le col de Caradhras. Mes
journées se résumaient à chevaucher l'un ou l'autre de mes compagnons en
évitant les éboulements autant que faire se peut, chasser pour me nourrir et
trouver du bois pour ne pas mourir durant les nuits glaciales qui faisait
passer la froideur des journées pour des solstices d'été. Malgré ma totale
inconscience et mon imprudence, le trajet jusqu'à Fondcombe se déroula sans
autre conséquence désastreuse que la perte de plusieurs kilos pour chacun
d'entre nous.
Je levai les yeux de mon carnet et constatai que le jour était à présent bien
avancé. Au travers de la fenêtre, l'éclat du soleil avait remplacé la froideur
de la nuit rendant la maison presque plus joyeuse. Je n'étais pas venue pour
écrire, aussi je déposai mon matériel sur ma couche et me levai pour fouiller
les décombres.
L'autre Crépuscule ~ Chapitre 1
dimanche 20 novembre 2011. Lien permanent Éclat(s) de lune
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