Le chemin du retour me sembla moins compliqué que l'aller, sans doute parce que je m'éloignai d'une source de peine qui était encore vive, même tassée sous d'autres sentiments. Lors de mes fouilles, j'avais retrouvé quelques carnets écrits par mon père et pris le temps de les lire, ils parlaient de sa rencontre avec ma mère et de notre vie ensemble. Il semblait qu'il manquait également tout un journal qui correspondait à l'époque que je cherchais vainement à retrouver. En constatant cela, j'avais eu la confirmation de ce qui me tourmentait : ils m'avaient caché quelque chose. Le seul indice tangible que j'avais pu trouver avait été écrit d'une main tremblante à la fin d'une page.
"Yualë est tombée malade, nous ne savons que faire, peut-être qu'elle ne survivra pas."
Je ne me souvenais pas de cet événement et la date correspondait à certaines pages arrachées sur mon carnet. En lisant la suite de ses écrits, j'avais également constaté que mon père était souvent inquiet pour moi, la moindre toux semblait provoquer chez lui une forte angoisse. Que dirait-il aujourd'hui en apprenant que ma main gauche me faisait souffrir au point que j'avais lâché mon bouclier lors de mon précédent combat ? Même si les chances que ces événements soient liés étaient infimes, je m'accrochais à l'espoir d'avoir trouvé un élément important.
5 février XXX5
Le
trajet du retour s'est passé sans encombre, je n'ai jamais été aussi
heureuse de voir un feu flambant et des couvertures chaudes dans une
maison, il faudrait que j'envisage de conserver également chez moi autre
chose à dévorer que mes livres. J'ai rangé les carnets de mon père à
côté des miens dans la bibliothèque de ma chambre, voir ainsi nos deux
vies écrites côte à côte m'a fait un effet étrange, comme si deux
conteurs se côtoyaient sous mes yeux.
J'ai
pris la décision de mettre en lien les événements que nous avons tous
deux décrits afin de voir s'il n'y aurait pas d'autres éléments qui
m'auraient échappés. Je sens que je n'ai pas autant de temps que je
l'aurais espéré, la douleur se propage et devient parfois presque
insoutenable lorsque je dois me battre. J'ai fini par faire quelques
modifications sur mon bouclier afin que son utilisation ne nécessite
plus autant ma poigne, ce n'est pas aussi efficace que lorsque mes mouvements et ma force ne sont pas entravés, mais il faudra s'en
contenter. J'ai eu la sensation que le froid se faisait également plus
mordant, peut-être était-ce lié aux contrées glacées que j'ai dû
traverser ces derniers jours, mais étrangement, je n'y crois pas.
Je
n'ose rejoindre les autres de peur de les inquiéter encore plus, je
pense rester là pendant un moment. Même si c'est nécessaire, mes
recherches ne sont finalement qu'une excuse pour ne pas affronter
certaines personnes. Ma défaillance l'autre jour les a rendus nerveux et
je n’imagine pas ce qu'il se serait produit si Coriolan n'avait pas été
là.
Je m'arrêtai un instant, recherchant mes mots.
Comment pourrais-je leur expliquer ce qu'il se passe alors
que je n'ai moi-même aucune idée de ce qui a pu se produire ? Je me sens
parfois égoïste de ne rien dire alors que leur malaise est à ce point
perceptible. Je n'ai envie de confier à personne ce fardeau, pas même à
ceux qui pourraient me le demander.
Incapable de continuer, je posai ma plume, il était tard et je
n'avais que peu dormi ces derniers jours, un lit ne me ferait pas de
mal. Malgré la somme de mes inquiétudes, le sommeil m'emporta
rapidement.