Froid, tellement froid.. Je repoussai les trois couvertures pour
observer le feu qui crépitait dans la cheminée de ma chambre, il aurait
été tellement plus simple de demander à quelqu'un de m'aider plutôt que
d'affronter tout ça seule. Arlienon avait bien compris la dernière fois
que j’avais besoin de lui et il n'avait posé aucune question. C'était un Elfe de grande qualité même s'il ne tenait pas la boisson. Ni sa langue
d'ailleurs parfois.
Je me redressai et tirai le rideau de ma
chambre, la maison d'Arlienon se trouvait à côté de la mienne, mais
aucune lueur ne l'habitait, il devait être parti. Résolument, je
descendis les escaliers en tirant une couverture et je m'installai à ma
table où j'avais laissé les carnets qui m'intéressaient ouvert la veille
pour reprendre mon étude.
6 février XXX5
Malgré
l'heure tardive, j'ai jugé utile de noter ici tout ce que j'ai inscrit
sur un brouillon, réorganiser les informations et les rendre plus
lisibles m'aidera peut-être à comprendre les éléments qui manquent et y
voir plus clair sur ce que j'ai trouvé.
Père
note à la fin de l'un de ses carnets que je suis tombée gravement
malade, j'ai écrit hier qu'il était nerveux dès que j'avais la moindre
toux, mais il semblerait qu'il ait oublié de retirer quelques pages de
son propre carnet. Peut-être voulait-il me laisser des indices ?
Deux mois après la fameuse disparition des pages, Père inscrit les mots suivants :
"La
Dame m'a demandé si nous donnions toujours son traitement à Yualë, j'ai
répondu que oui, nous faisions ce qu'elle nous a conseillé depuis le
début, jusqu'aux choses qui nous ont le plus affectés bien qu'elle n'en
ait pas conscience. J'ai cru que Cassya n'allait pas tenir le coup
lorsque nous avons demandé à Erelyd d'éloigner son fils. Arkhel voulait
voir son amie de toujours, nous avons refusé, il valait mieux qu'il n'y
ait aucune confrontation entre eux. Arkhel semble avoir une conscience
aiguë de ce qu'il se passe, briser le Lien de la sorte était une cruauté
nécessaire, peut-être qu'un jour il comprendra, Erelyd doit le lui
expliquer, mais qui dit qu'il nous pardonnera ?"
Ainsi,
je connaissais Arkhel lorsque j'étais petite, mais pourtant je n'ai
aucun souvenir de cette époque et encore moins de lui, je comprends
qu'il m'en veuille et me demande de me rappeler à chacune de mes
rencontres. Quant au Lien, il ne pouvait s'agir que d'une chose, mais
mes sentiments à son égard ne sont plus du tout les mêmes. A dire vrai,
lorsque je le vois, je me sens mal à l'aise, je perçois son envie de me
faire comprendre. Lui n'a rien oublié mais même si l'on me rendait mes
souvenirs, je sais bien que rien de ce qui s'est produit ne pourrait
être réparé. La fleur qui devait naître a fané avant l'heure.
"J'ai
eu des nouvelles d'Erelyd et par conséquent d'Arkhel, il semblerait que
la petite famille se porte bien. Lya a bien grandit, le frère et la
sœur sont devenus inséparables au point de poser aux parents quelques
problèmes. Leur mère a jugé bon de les éloigner l’un de l’autre de peur
que ce qui les unit maintenant ne se change en quelque chose de plus
profond qui ne serait pas convenable pour des enfants de la même
fratrie. Lya a été envoyée dans une école renommée pour apprendre à
manier les runes et Arkhel a été invité à se joindre aux ménestrels qui
nous ont enseigné Erelyd et moi-même.
Il
est amusant de voir comme les choses changent, Yualë grandit elle-même
chaque jour et ce qui s'est passé il y a quelques années semble n'être
qu'un fragment de rêve. Pourtant, lorsque le soir elle retire les gants
que Cassya la force à porter, je ne peux nier l'existence de l'ombre qui
pourrait encore planer sur elle à l'avenir. La Dame nous avait dit que
les risques étaient grands, nous avons eu de la chance ce jour-là et
celle-ci pourrait bien ne pas se reproduire à l'avenir."
J'ai
été surprise de voir Lya citée dans ce passage, je savais qu'Arkhel et
Lya étaient frère et sœur et que c'est en revenant de ses voyages qu'il a
présenté Aghamyr à sa sœur. Peut-être étais-je trop jeune pour me
souvenir qu'à ce moment-là et que j’ai tout simplement oublié cette
époque où nous partagions nos jeux ? Ou peut-être que cet élément a une
importance que je ne soupçonne pas pour l’instant..
"Erelyd
m'a demandé s'il serait bon de mettre en présence Arkhel et Yualë, j'ai
refusé et me suis excusé car il semble évident que la promesse ne
pourra être tenue. J'ai tenté de parler d'Arkhel à Yualë, j'ignore si
elle change de sujet consciemment ou non, mais rien que l'évocation de
son nom la rend mal à l'aise."
Suite
à ce passage qui parle probablement la même promesse que celle
qu'Arkhel ne cesse de me demander de me rappeler, il n'évoque plus le
sujet et parle de notre vie de tous les jours jusqu'au moment de la
découverte de ma vocation.
"Bien
que la décision de Yualë semble être juste et celle qui lui correspond
le plus, je suis très inquiet, la voie qu'elle a choisi l'amène à être
confrontée à un grand nombre de créatures qui pourraient réveiller le
mal endormi et scellé. Peut-être que je m'inquiète trop, mais cette
nuit, elle suffoquait, sa peau était aussi glacée que lorsqu'elle était
allongée dans ce lit qui nous semblait être celui de son dernier
souffle. Elle n'a jamais plus dégagé de chaleur depuis ce jour, comme si
ce qui sommeille en elle absorbait toute marque de vie au point que je
me demande parfois si ce jour-là, elle n'est pas finalement morte.
Cassya
est restée auprès d'elle, le temps nous a fait comprendre qu'il était
inutile d'espérer la réchauffer en la couvrant de couverture ou en la
collant contre le feu, bien que des vêtements puissent s'avérer utile
pour conserver ce qui lui reste de chaleur, elle est bien plus sensible à
la présence d'autres êtres vivants, particulièrement la nôtre."
Ceci explique dont cela..
"Lorsqu'il
lui arrive de souffrir du froid, nous nous relayons auprès d'elle, nous
évitons alors de lui ôter tout vêtement, le contact de sa peau laisse
la sensation d'effleurer la mort. J'ai discuté à plusieurs reprises avec
Cassya, je pense que nous devrions expliquer à Yualë ce qu'il se passe,
mais elle refuse obstinément. Je crains qu'un jour, lorsque nous ne
serons plus là, notre fille ne se trouve confrontée à des soucis qu'elle
devra gérer seule en cherchant des solutions que nous pourrions déjà lui
apporter.."
Je reposai ma plume et fit quelques mouvements des doigts pour
les détendre avant de me lever. Toujours traînant ma couverture, je me
dirigeai vers l'écurie pour y retrouver Fanyarë. "Faute de grives, on
mange des merles" dit-on..