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Passer trois jours à attendre était plus éprouvant que d'exterminer les orcs, j'en devenais grognon alors qu'Arlienon prenait plaisir à découvrir la ville dans laquelle j'avais vécu des années durant. Pour passer le temps, je l'emmenai visiter les lieux les plus secrets que je connaissais et m'occupai d’acheter une tenue adéquate pour le bal.
Retourner dans la ville de Calas Galadhon me faisait remonter le temps, j'y croisais des gens que j'avais côtoyé, des lieux où j'étais anciennement une habituée et des souvenirs à chaque pas. Quand j'étais partie, j'avais abandonné beaucoup de choses derrière moi. J'avais troqué une vie faite de partage et de rires contre une autre où la solitude régnait en maître. Pourtant, je n'avais pas de regret, J'avais changé, grandit en quelque sorte, je me rendais compte aujourd'hui à quel point je me sentais mal à l'aise en présence de tous ces Elfes. A l'époque, mes rapports aux autres avaient été faussés par mes origines, si je souriais, c'était malgré les regards parfois méprisant de mes confrères lorsque je leur avouais être trop jeune pour avoir connaissance de certains faits. Comment aurais-je pu rire aussi naturellement que j'avais appris à le faire auprès de personnes qui ne jugeaient pas selon mon sang ?
C'est en marchant dans mes propres pas que je pris conscience du chemin parcouru, la jeune fille qui avait fait son apprentissage dans les arbres était devenue une femme auprès des Hommes.
Penser à ceux que j'avais dû laisser me rappelait l'absence cruelle de Coriolan, j'aurais aimé lui montrer la splendeur de la Forêt et tenir ma promesse de l’emmener découvrir les lieux que je parcourais lorsque j’avais besoin de me détendre, mais je craignais de ne jamais le pouvoir.
Si je ne pouvais faire autrement, me pardonnerait-il ? Cette question me hantait et m'empêchait de dormir depuis notre départ de la Trouée des Trolls. Chaque soir, je m'enveloppais dans la couverture qu'il m'avait donnée avant mon départ et je regardai les étoiles en pensant à notre dernière rencontre.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

Arlienon vint s'asseoir à mes côtés, je m'étais installée en haut de Telain Neduil, un de mes endroits préférés.

- Je réfléchissais.
- A quoi donc ?
- A une chanson.
- Je ne t'ai pas vu toucher ta harpe ni entonner un seul chant depuis des semaines..  Je suppose qu'il s'agit de l'une de tes compositions, de quoi parle-t-elle ?
- D'une personne qui en cherche une autre et ne peut la trouver car ils ne vivent pas dans le même monde. Alors elle chante aux étoiles et leur demande de lui apporter son message.

Je me levai et pris la harpe que je gardais toujours dans mon sac. J'y jouais quelques notes qui se changèrent petit à petit en une mélodie très douce.


J'ai marché sans compter les heures
A la recherche de cette faible lueur
Emprisonnée dans les mains d'un enfant,
Plongé dans les abysses du temps.

Je n'ai jamais cessé de te chercher
Même sans savoir qui tu étais
Car je voulais partager avec toi
Cette émotion qui fleurissait en moi.

Le temps érode chacun de nos sentiments
Jusqu'à les effacer complètement
Mais de chacun d'eux je me rappellerai
Afin de te les chanter
A jamais..

Je ne sais depuis combien de temps
Cela vibre dans mon coeur, doucement
Comme si ce n'était qu'un murmure
S'effaçant tel un cercle sur l'onde pure.

Peut-être que ces mots que j'adresse
Au crépuscule et aux étoiles de glace
Traverseront l'espace pour t'atteindre,
Toi qui vis si loin et que je ne peux rejoindre.


Arlienon se leva et passa sa main sur mon visage pour en effacer les larmes qui avaient coulé.

- Il est temps d'y aller.
- Je sais.
- Et tu n'es pas prête.
- Je sais..

Je sortis de mon sac la robe que j'avais prévue pour le soir, Arlienon se tourna le temps que je me change. Il vint ensuite m'aider à défaire les tresses qu'il s'était donné tant de mal à faire la veille, mes cheveux avaient poussé depuis mon départ, cela me laissait une impression étrange de les voir tomber jusqu'au milieu de mon dos.

- Tu es restée absente longtemps.
- Plus que de raison.
- Mais tu seras de retour avant la froide saison si tu n'as pas à attendre de la Dame qu'elle prépare sa potion.

Je ne répondis rien et pris le bras d'Arlienon pour rejoindre le bal.