Qu'il était bon de ne plus voyager seule, j'avais beau bougonner dès
qu'Arlienon se tournait vers moi, j'appréciai intérieurement sa
présence. Il m'avait forcée à rester une journée sur le lieu du
campement, le temps de me "remettre en bon état de fonctionnement" car
selon lui j'étais devenue une coquille vide inutile, ce qui ne le
surprenait pas puisque j'étais "incapable de m'occuper de moi-même".
J'avais eu droit à ses réflexions tout le jour durant, comme s'il les
avait retenues durant ces longues semaines et qu'il vidait son sac d'un
seul coup.
Le soir venant, son débit verbal déclinant et son
attention auditive augmentant, je pris le temps de lui expliquer les
raisons de mon déplacement. Après tout, il l'avait bien cherché. Il ne
posa que quelques questions de temps à autre, me demandant des
précisions sur le déroulement des évènements. Il finit par examiner ma
paume lui-même, la plaie avait légèrement grandi depuis la dernière fois
que je l'avais montrée à quelqu'un, comme si elle me rongeait petit à
petit. Après quoi il était retourné à son mutisme et s'était plongé dans
l'étude des carnets que j'avais emportés.
26 juillet XXX5
Je
ne peux que remercier Arlienon d'être venu me trouver, sa présence me
rappelle les longs voyages que nous partagions il y a quelques années.
Je n'ai pas vraiment la nostalgie de cette époque, je suis seulement
heureuse que cette complicité que je croyais disparue soit toujours là.
En parcourant ses ouvrages, Arlienon a trouvé quelques remèdes pour
endormir la douleur, je peux à présent reprendre l'écriture de mon
carnet, je profite d'une escale pour entreprendre de résumer ce qu'il
s'est produit ces dernières semaines.
Je
n'ai pas revu Arkhel avant mon départ de Bree, je pense que je l'ai
blessé dans son orgueil quand j'ai refusé ses marques d'affection. Je
n'ai pas le courage de lui dire que le passé n'a pas grande valeur à mes
yeux et qu'un certain gardien revient plus que de raison dans mes
pensées depuis que j'ai croisé sa route en Eregion. Je suis allée voir
Lya qui m'a reçue dans la maison enfin terminée des Lunae Candentia,
elle m'a dit qu'elle parlerait à son frère, je n'ai pas même eu besoin
de lui expliquer ce qu'il s'était passé.
J'ai
passé les deux premières semaines à écumer la Comté et les nombreuses
auberges qui en jonchent les routes, je n'ai trouvé aucune trace de la
présence d'Erelyd qui soit suffisamment récente pour être suivie,
plusieurs personnes m'ont indiqué qu'il était parti en direction de
Tinnudir un mois auparavant. C'est donc là que j'ai poursuivi mes
recherches, sans succès à nouveau. Suite à cet échec, mes pas m'ont
conduite dans les Hauts du Nord, en Angmar, dans les Terres Solitaires
et enfin dans la Trouée des Trolls.
C'est
en me rendant à Thorenhad que j'ai rencontré un nain qui avait bu
quelques choppes avec Erelyd deux jours auparavant. Le musicien lui
avait indiqué qu'il devait se rendre à Fondcombe et y rester jusqu'à la
fin du mois, nous sommes donc dans les temps pour le rattraper.
Arlienon
me harcèle pour que j'écrive une lettre aux Malta a Miril et me regarde
avec une insistance qui frise l'obsession. Le message est clair : Pose
ton carnet et fais ton devoir.
Je soufflai légèrement sur le carnet avant de le refermer.
Arlienon avait déjà prévu la feuille de papier et resta derrière moi
durant toute la rédaction de la lettre.
26 juillet XXX5
Mes chers amis,
Mes
voyages m'ont conduite bien loin des sentiers habituels qu'empruntent
les petites personnes spécialistes de la livraison de courrier. Ces
absences m'ont amenée petit à petit à perdre mon habitude de vous
envoyer de mes nouvelles aussi souvent que possible.
Arlienon
m'a rejointe dans la Trouée des Trolls, nous approchons de notre but,
bien que je sois persuadée que la route ne s'arrêtera pas là. Je ne peux
vous donner une date approximative pour notre retour, j'espère
seulement que nous en auront terminé avant la fin de l'année.
Prenez bien soin de vous,
Yualë.
Je me tournai vers Arlienon.
- Satisfait ?
- Très. Et ne t'avise pas de recommencer à disparaître de cette façon.
Je
ne répondis rien, il n'y avait aucune certitude quant à l'avenir et je
n'avais pas envie de faire une promesse que je me sentais incapable de
tenir.