chap15-1.pngCoriolan regardait le feu danser dans la cheminée. Perdu dans ses pensées, il laissa son esprit vagabonder et revenir sur des souvenirs qui lui semblaient désormais si précieux. La première fois où sa route avait croisé celle de Yualë, aux portes de la Moria, à Echad Dunnan, et les compliments de l’Elfe. Puis au Belvédère enfoui où il lui servit de guide. Tout s’était enchaîné très vite. Elle avait rejoint Malta a Miril et leurs rencontres s’étaient faites de plus en plus nombreuses, mais totalement fortuites, du moins pour sa part. Qui suivait l’autre ? Il n’osait croire qu’elle le poursuivait, bien que secrètement il le souhaitait, mais pouvait-il vraiment espérer représenter un quelconque intérêt aux yeux de la belle Elfe ? Le jeu du chat et de la souris avait finalement cessé, les courriers se multipliaient et leurs rencontres étaient devenues de doux rendez-vous. Coriolan savait que son aimée cachait une profonde blessure, mais lui faisait suffisamment confiance pour lui laisser le temps nécessaire à ses confidences. Il se souvenait avec émotion de la soirée passée au bord du lac de Lézeau, là où, même si leurs sentiments l’un envers l’autre étaient déjà dévoilés, il lui avait déclaré son amour inconditionnel en prenant la lune à témoin. Quoi qu’il lui en coûte...

« Quoi qu’il m’en coûte. » Ces mots qu’il avait prononcés ce soir-là revenaient en écho dans sa tête depuis que l’expédition de Yuale s’éternisait. Connaissant son goût pour les voyages, Coriolan ne s’était pas inquiété quand elle lui avait annoncé son départ. Les mois passaient et l’exercice intensif auquel il se livrait chassait le doute de son esprit. Il trouvait cependant le temps long et l’absence de courriers de son aimée lui pesait. C’est à cette époque que Camellya avait prononcé à plusieurs reprises les mots « Je ne peux pas vous protéger de tout, je suis désolée ». S’il n’y avait pas vraiment prêté attention sur le moment, tout cela faisant sens à présent, à la lueur de ce qu’il avait appris. Sa capitaine, son guide, son mentor et amie avait essayé de le mettre en garde et de le préparer aux événements.


Il rendait visite à Camellya ce fameux soir, pour récupérer des baumes et discuter. La présence des deux montures de Yualë dans les écuries lui avait fait bondir le cœur. Il avait demandé à la voir, mais la capitaine l’avait retenu par le bras et fait asseoir à une étude, devant une pile de lettres. « Lis. », lui avait-elle intimé avec toute la fermeté dont elle savait faire preuve. Était-elle blessée, disparue... morte ? Il chassa cette hypothèse de son esprit et entama la lecture d’une première missive. L’écriture de sa douce, cela lui était adressé directement. La main était hésitante, les mots évasifs, mais il lui semblait deviner les sous-entendus entre les lignes. Malgré la maladresse des courriers, il finit par comprendre ce qui avait été perdu. Alors que les larmes coulaient le long de ses joues, Camellya tentait de le réconforter en posant ses mains sur ses épaules. Elle ne cessait de répéter combien elle était désolée et l’avait pris dans ses bras. « Tu n’y es pour rien. », avait-il articulé entre deux sanglots. Et il s’était laissé aller à son chagrin.


Tout naturellement, il avait exigé à voir les carnets de voyage de son aimée et s’était enfermé dans une des résidences pour les lire, espérant y trouver des réponses, voire même un espoir. Au fil des pages, Coriolan découvrait les sentiments de Yualë à son égard, un amour tendre et passionné, et ce depuis leur première rencontre. Alors elle le suivait vraiment... Si ces révélations emplissaient son cœur de joie, la tristesse n’était pas loin. Car il était évident que celui qu’elle avait tant aimé était celui qu’elle avait oublié. Pourquoi ne lui avait-elle rien dit de ce mal qui la rongeait ? Malgré tout, il n’était pas en colère après elle. Aurait-il pu faire quelque chose de plus pour qu’elle se confie à lui ? Avait-il manqué de prévenance ? Manifestement, elle avait cherché à le protéger, elle avait peut-être même eu honte de son état de faiblesse. Ce que le gardien qu’il était pouvait aisément comprendre.

Dans un premier temps, il s’était demandé si tout était vraiment perdu. La magie serait-elle dissipée s’ils se revoyaient ? En aucun cas il ne voulait nuire à sa bien-aimée, il était même prêt à s’exiler au loin pour la préserver. Il se souvint alors de l’amour d’enfance de Yualë qu’elle avait visiblement revu plusieurs fois depuis son premier traitement, sans que cela n’influe sur son état. Tout espoir était donc permis. Elle l’avait oublié, masi cela ne signifiait pas qu’elle ne pourrait pas l’aimer à nouveau. Qu’à cela ne tienne, il s’appliquerait à créer de nouveaux souvenirs, partagés cette fois. Oui, il avait enfin pris sa décision.


L’âme et le cœur apaisés, Coriolan avait rédigé une lettre pour Yualë où il exposait ses conclusions. Il ne lui en voulait pas. Il espérait qu’elle aimerait de nouveau, il en était même certain. Il avait espoir que ce serait lui, mais il ne voulait pas l’influencer ou la forcer à quoi que ce soit. Satisfait, il emballa également un petit cheval en bois, l’un de ses derniers souvenirs d’enfance au Rohan.

Il avait demandé à Camellya de les transmettre à Yualë de sa part. Plus de temps à perdre, il devait préparer son plan de reconquête. Il revêtit un haubert bleu frappé d’un aigle blanc sur la poitrine, arrangea ses cheveux en queue de cheval et se glissa dans une cape sombre. Coriolan jeta un dernier coup d’œil derrière lui, dans la maison. Il aurait encore besoin de l’aide de son amie capitaine. Et, si jamais ça ne se déroulait pas comme prévu, il lui restait un tout dernier recours. Il visualisa, en haut d’une des étagères, la fiole que Balsarn lui avait procurée après maintes plaintes. Si ça tournait mal, il boirait le contenu de la fiole. Il n’oublierait pas, ça non, mais jamais plus il ne souffrirait de son absence. Son cœur et ses sentiments seraient figés. Alors, il partirait loin, emmenant les souvenirs et les fragments de ses amours. Mais ça, il s’était bien gardé d’en parler à Camellya. Il ferma la porte, ajusta sa capuche et partit dans la nuit.