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Je n’avais jamais été une Elfe très patiente, mon sang humain devait être à l’origine de cette fougue me poussant à toujours être en mouvement. Ces quelques jours à n’avoir aucune autre obligation que celle de rester au calme commençaient à me peser. Il y avait pourtant du bon dans cette inactivité forcée, petit à petit je me ré-appropriais ce corps qui était le mien, appréciant de pouvoir user de ma main gauche autant que de ma droite. J’avais pu m’occuper de remettre en état mon bouclier et mes armes qu’Arlienon m’avait ramené et m’entrainais à l’arc à chaque fois que j’en avais l’occasion. L’appel du grand air se faisant cependant sentir, j’avais finit par expliquer à Camellya qu’il m’était nécessaire autant qu’à mes chevaux de partir en balade.


Cela ne faisait que quelques jours qu’elle m’avait demandé de rester dans les environs, aussi je pris le parti de faire une escapade du côté des petits villages ornant les routes de la Comté. Comme à mon habitude, je chevauchai Menelyan qui avait grand besoin de galoper, me contentant de le diriger de temps en temps pour me rapprocher des chemins. Lorsqu’il commença à ralentir, je décidai de m’arrêter dans une auberge pour y boire un verre et manger un morceau.

L’endroit était typique de la Comté, une salle vaste, remplie de chaises où régnait la bonne humeur. Je m’installai à un tabouret au bar et commandai un vin léger accompagné d’une spécialité de la maison. La tenancière ne fut pas longue à apporter ma commande, déposant celle-ci devant moi, elle se pencha dans ma direction et me fit un clin d’oeil.


- On dirait bien que vous avez attiré le seul gars potable du coin !


Je suivis son regard et croisai celui d’une personne familière. Je me tournai vers la Hobbit et me penchai à mon tour.


- Vous avez toutes vos chances, si vous le désirez. Il ne s’intéresse pas vraiment à moi, il préfère apparaître dans ma vie, faire une pirouette puis disparaître à nouveau avant que je n’ai le temps de dire ouf.


L’Elfe s’était rapproché et avait saisi une partie de la conversation.


- Quelles bêtises es-tu encore en train de raconter ma tendre Yualë.

- Rien qui ne mérite d’être répété mon cher Arkhel.


Comme à son habitude, il s’installa à côté de moi et s’appropria un verre. Le mien pour être exacte.


- Il faut que j’arrête de rentrer dans les auberges, à chaque fois vous vous y trouvez. Est-ce une maladie ou bien vous amusez-vous de me surprendre de la sorte lorsque je ne souhaite que me reposer ?

- Puisqu’il faut en passer par des reproches et des sarcasmes, je vais me contenter de te dire que je te cherchais.


Plus rien ne me surprenait venant de sa part.


- Quelle idée saugrenue. Et pour quelle raison aviez-vous envie de me voir ?

- Je voulais être certain que tout était rentré dans l’ordre.

- A quel propos ?

- Voyons Yualë, ne joue pas à ce jeu avec moi. J’aime ton air innocent, mais il est des sujets sur lesquels il ne faut pas feindre l’ignorance.


Il jeta un coup d’oeil à l’aubergiste qui, essuyant consciencieusement le même bock depuis cinq bonnes minutes, n’avait rien manqué de la conversation. Il passa son bras sous le mien et m'entraîna avec lui à sa table. Le connaissant bien, je me laissai faire, il n’aurait eu de cesse de me tirer jusqu’à ce que je cède et je n’étais pas d’humeur à faire traîner les choses. Il souhaitait me parler ? Soit.

Il posa mon verre presque vide devant moi et se mit à me dévisager. Mal à l’aise je me concentrai sur mon assiette que j’avais réussit à sauver durant le déplacement.


- Tu as maigri tu sais ?

- Personne n’a jamais dit que de voyager durant des mois rendait plus séduisant. A la limite, plus cadavérique. Était-ce là votre sous-entendu ?

- Tu es magnifique, je suis content de voir que tu as repris des couleurs, la dernière fois que je t’ai vu, tu dormais dans les bras d’Arlienon et tu avais l’air d’une morte.


Je manquai d’avaler de travers.


- Je vois que ton ami ne t’a rien dit.


Je secouai la tête, en effet, Arlienon ne m’avait rien dit concernant Arkhel. Il devait avoir estimé que j’avais assez à gérer avec mes problèmes de mémoire.


- Encore une fois c’est moi qui passe inaperçu, tu me mènes la vie dure.

- Je n’ai jamais demandé quoi que ce soit de votre part, ni votre présence, ni une quelconque attention.


Je commençai à être agacée par son manège et n’avais plus envie de faire preuve de douceur et de compréhension. Il sembla choqué par ma réaction d’une vivacité à laquelle je ne l’avais pas habitué, mais je m’en moquai. Il se reprit rapidement et me fit un piteux sourire.


- Pardonne-moi Yualë. Tu as raison, j’abuse de ta patience. La vérité est que j’étais moi-même présent le jour où tu t’es rendue à Calas Galadhon. Je mets un point d’honneur à assister au bal fêtant la chute des premières feuilles, j’y ai joué quelques morceaux cette année d’ailleurs. Tu ne m’as pas remarqué, mais j’étais bien présent, je t’ai aperçue lorsque j’ai joué mes premiers morceaux, tu dansais avec Arlienon.


En soupirant, je fis un geste à l’adresse de l’aubergiste qui arriva aussi vite qu’elle le pouvait du haut de ses petites jambes, je commandai deux boissons plus fortes, je sentais que j’allais en avoir rapidement besoin.