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Arkhel avait visiblement beaucoup à me dire, il commença par m’avouer que sa présence dans la Comté n’avait rien de fortuite.


- Vous m’avez déjà dit que vous me cherchiez, je n’ai pas cru à une plaisanterie.

- A force de jouer sur les mots tu aurais pu penser qu’il s’agissait encore d’une de mes tournures de phrase ayant pour but de te séduire.

- Si c’était le cas, j’ai le regret de vous annoncer que cela ne fonctionne pas.


Son côté acteur reprit le dessus, il porta ses mains à son coeur, comme si je venais de le lui arracher. Je pris une gorgée d’alcool qui me fit grimacer. Comprenant que je n’avais pas envie de rire, il attrapa son verre et bu à son tour.


- Je t’ai vu entrer dans le jardin avec la Dame, j’ai supposé que tu allais t’entretenir avec elle au sujet de ta main, j’ai tout de même été surpris de voir que ton ami ne te suivait pas.

- Elle ne l’avait invité, il connaît les traditions de la Forêt d’Or au même titre que toi et moi.

- Je vois.. Arlienon a arrêté de danser après ton départ, il s’est installé à une table et t’a attendue. Je commençais à ranger mon matériel lorsque je l’ai vu se lever et courir en direction du jardin. Je n’ai pas tout de suite compris ce qu’il se passait, un garde portait quelque chose dans ses bras, il a confié son chargement à Arlienon puis il est parti. C’est lorsque j’ai vu la Dame arriver et lui parler que j’ai saisi l’importance du paquet.


Il fit tournoyer la fin de sa boisson, regardant le fond de son bock.


- Tu avais été enveloppée dans une large cape, Arlienon a dégagé ton visage.. J’ai cru que tu étais morte. Je n’ai pas vraiment réfléchi et me suis précipité auprès de ton ami et de Galadriel, arrêtant leur discussion. Je ne sais plus ce que j’ai dit, probablement des choses banales que l’on bafouillerait en ce genre de situation. La Dame a attendu que je me calme un peu pour m’expliquer que ton corps dormait et qu’il en serait ainsi le temps que son sortilège puisse vaincre ta malédiction. Arlienon nous a salué tous les deux, a indiqué qu’il valait mieux te ramener rapidement dans la Comté auprès des tiens, puis il est parti.


Il fit un geste vers la hobbit pour commander de nouveau. Je n’avais pas terminé mon verre et me demandai si finalement les deux suivants n’étaient pas pour lui.


- Après votre départ, je suis resté quelques jours à errer, me demandant ce que j’aurais pu faire. Et puis la Dame m’a convoqué. Tu sais comme moi que l’on ne refuse pas l’une de ses invitations. Je me suis donc rendu auprès d’elle le plus rapidement possible.


Il se leva et commença a imiter la voix et la gestuelle de Galadriel avec une perfection qui me fit frissonner.


“Puisque tu t’inquiètes tant pour ton amie, va chercher la louve blanche qui rôde dans les environs. Tu la reconnaîtras facilement, bien que se mêlant aux autres, elle ne se comporte pas de la même manière et son aspect éthéré dévoile sa vraie nature”.


Il se rassit et remercia la tenancière qui avait apporté ce qu’il avait demandé.


- Je crois que Galadriel aime beaucoup parler par énigme.

- J’ai eu la même impression lors de notre entretien.


Il marqua une pause.


- Que s’est-il passé au juste dans le jardin ?


Je lui racontai succinctement les faits, évitant les imitations malhabiles. Il hocha la tête, visiblement satisfait d’en apprendre plus sur ce qui lui avait échappé, puis reprit son histoire.


- J’ai fait ce que la Dame m’a demandé : J’ai cherché une louve blanche d’aspect éthéré. Au début, j’errais dans les bois en prononçant ton nom, puis je t’ai cherché de façon plus méthodique, demandant à quelques chasseurs de repérer les traces des loups qui chassaient dans les environs.


Il regarda mes mains, nues depuis que le tatouage y avait été appliqué et me sourit.


- Je me suis retrouvé au milieu de nulle part, loin des villes et beaucoup trop près d’un camp orc lorsque je t’ai vue. Tu filais avec ta meute jusqu’au campement, blanche comme elle t’avait décrite, la patte avant gauche portant les mêmes marques que celles de ta main. Tu es passée à côté de moi sans t’arrêter et t’es jetée sur un orc que je n’avais même pas remarqué. Tu l’as achevé avant que j’ai pu réagir, puis tu t’es jointe aux autres sur le champ de bataille. J’ai attendu que l’escarmouche se termine en t’observant, tu combattais avec la fougue dont tu as toujours fait preuve, protégeant ceux qui était en danger et surveillant les arrières des autres. Au bout d’un moment, il y a eu un hurlement bref, vous avez tous fait demi tour et êtes partis, j’ai compris que les renforts arrivaient et qu’il ne valait mieux pas rester trop longtemps dans les parages. Je vous ai suivi comme j’ai pu, je pensais avoir perdu votre trace et puis je t’ai vue, tu buvais à une source. J’ai commencé à te parler et à m’approcher de toi. Tu n’as pas bougé et t’es contentée de tourner les oreilles dans ma direction.


Il plaça ses mains au-dessus de sa tête pour mimer les oreilles. Il avait clairement trop bu.


- Je ne sais pas comment j’ai réussit à faire en sorte que tu viennes avec moi, toujours est-il que ça a marché. J’ai pris la direction de la Comté, j’avais peur que tu n’arrives pas à rejoindre ton corps. Au fur et à mesure de notre voyage, la tâche que tu avais à la patte disparaissait et tu devenais moins visible. J’ai cru que je ne parviendrais pas à t’amener jusqu’à ma destination. Je ne savais pas exactement où Arlienon devait te conduire, aussi je t’ai laissée à la frontière. Je ne te voyais déjà presque plus et je n’aurais pas supporté de me réveiller un matin sans sentir ta présence. Je constate que tu t’es débrouillée toute seule pour la fin du voyage !


Je lui souris, c’était donc lui que je suivais lors de mon rêve.. Qui n’en était pas un de toute évidence. Je m’étais mal comportée avec lui, je lui devais beaucoup.


- Pardonne-moi d’avoir été si brusque tout à l’heure.

- Je comprends, si les conséquences sont les mêmes que lorsque tu es tombée malade, tu ne dois pas avoir envie d’écouter un plaisantin tel que moi.


Je soupirai.


- Le pire est d’avoir conscience des ratés de ma mémoire..

- Le pire pour moi est que tu te souviennes de ma personne.


Il agrippa de nouveau son coeur et je lui lançai un regard noir.


- Allons Yualë, soit un peu positive que diable ! Tu es en vie, en bonne santé, toujours aussi mat de peau pour une Elfe, que demander de plus !

- D’éviter de sacrifier quelque chose d’important ?


Il fronça les sourcils ce qui lui donna un air particulièrement sévère.


- Ne commence pas à faire ta mauvaise tête, tu sais bien qu’on ne peut pas tout avoir. Il suffit de me regarder, je suis séduisant, merveilleux, fantastique et évidemment le meilleur artiste de toute la Comté et ses environs. Pourtant, la seule fille dont j’aimerais vraiment attirer l’attention regarde ailleurs. Je n’en fais pas toute une maladie !


J’étais partagée entre mon envie de le taquiner et la tristesse que je ressentai pour lui. Je pris le parti de rire.


- Ce n’est pas comme si tu n’avais pas des dizaines de filles qui te couraient après ! D’ailleurs..


Je chuchotai.


- Tu as toutes tes chances avec l’aubergiste, elle regarde dans ta direction.


Il répliqua à ma boutade par un sourire.


- Puisque tu sembles l’exiger, je vais me sacrifier pour toi. Mais avant, une ou deux choppes ne me feront pas de mal !


Je l’accompagnai et discutai de tout et de rien, je finis par le laisser en charmante compagnie et rentrai chez Camellya.

Celle-ci m’attendait de toute évidence et sembla soulagée de me voir arriver. Posés sur une table à côté d’elle, je reconnus mes carnets accompagnés d’un petit paquet. Un peu mal à l’aise de l’avoir visiblement inquiétée, je lui souris gentiment.


- J’avais besoin de me détendre..


Elle ne répondit pas et désigna la table.


- Arlienon les avait oubliés dans l’écurie. Le reste est aussi pour toi. C’est de sa part.


Je compris tout de suite que le “sa” ne désignait pas Arlienon, mais la personne qui manquait à mes souvenirs. J’allais m’emparer de mes affaires quand elle posa sa main sur la mienne.


- Promets-moi de lire ce qu’il t’a écrit.

- Je n’avais pas l’intention de fuir..

- Promets quand même.

- Bien, bien ! Promis ! Mais pas ici. J’aimerais rentrer chez moi.

- Je t’avais dit que je ne te retiendrai pas.


Après l’avoir remerciée une dernière fois pour son hospitalité, j’emportai ce qu’elle m’avait confié et pris le chemin de ma demeure.