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Enfin revenue chez moi j’avais pris quelques jours pour profiter du silence et m’occuper de retailler certains de mes vieux vêtements, décidément trop larges.

J’avais déposé mes carnets sur mon étude accompagnés du paquet et de la lettre de l’inconnu. Je passais devant eux à plusieurs reprises durant la journée avant de m’asseoir enfin pour écrire.



24 octobre XXX5


En un sens, Camellya a raison de dire qu’un tatouage fait par l’un de ses amis n’est pas si douloureux, mais le lieu où est placé le mien n’a pas rendu possible une écriture lisible dans ce carnet jusqu’à ce soir.

Me voilà donc avec plusieurs jours à rattraper, quoi que je n’ai pas envie de tout résumer.



Le paquet attirait sans arrêt mon regard, me déconcentrant totalement. Résignée, je l’attrapai et l’ouvris. Il y avait à l’intérieur un jouet d’enfant, je reconnus sans peine une représentation d’un cheval du Rohan. Le bois était doux au toucher, visiblement patiné par le temps, on en avait pris grand soin. Je déposai la sculpture sur la table et la regardai un moment avant de reprendre mon écriture.



Ces derniers jours ont été éprouvant, tant par l’attente forcée que par les évènements qui se sont produits.


Tout d’abord, je me suis rendue avec Camellya auprès de son ami nain qui devait s’occuper de mon tatouage. Je n’ai jamais prêté attention à tout ce qui est rune. En dehors de la capacité amusante d’Arlienon à embraser tout ce qui passait à sa portée à l’aide d’un caillou, cela avait tendance à m’indifférer. Je dois avouer que la technique est particulière, elle mérite d’être décrite.

Lorsque nous sommes arrivés, Camellya a confié mes croquis au nain puis s’est tranquillement installée dans un fauteuil, on aurait vraiment dit une routine pour elle. Le nain a d’abord étudié mes dessins, tourné ma main et mon bras dans tous les sens (probablement pour en connaître la morphologie et situer les marques) et a commencé à tracer une ébauche de ce qu’il allait appliquer sur ma paume et mon avant-bras. J’étais curieuse de savoir comment il allait procéder, je n’ai pas été déçue.

Une fois ses esquisses terminées, il a remonté ma manche et positionné mon bras à sa convenance. Il a ensuite fait appel à Camellya pour qu’elle lui donne l’encre qu’elle devait amener pour lui. L’application du tatouage en lui-même m’était inconnue, j’avais quelques notions sur la pratique habituelle qui consiste à user d’encre et d’aiguilles pour colorer la peau, mais les maîtres nains utilise l’encre comme support à leurs runes.

Après avoir trempé son index dans la fiole il a commencé à tracer des lignes dans les airs, plus il repassait sur chacune d’entre elle, plus le motif du tatouage était clairement visible. Lorsqu’il a arrêté son mouvement, le tracé s’est mit à briller doucement puis s’est appliqué de lui-même sur ma peau.

En dehors du fait que j’étais tout de même surprise par la manière de procéder, je suis conquise par le dessin en lui-même. Je voulais pouvoir cesser de cacher mes mains tout en gardant les marques, je pense que seule cette personne pouvait m’aider. Il faudra que je remercie Camellya d’une façon ou d’une autre et que je lui demande comment montrer ma reconnaissance à son tatoueur.



Je reposai ma plume et repris le cheval entre mes mains, me demandant qui pouvait bien l’avoir confié à Camellya pour qu’elle me le transmette. Etait-ce seulement la bonne question à se poser ? Je reposai l’animal et m’affalai sur la table. Assurément non. J’avais tout loisir de savoir de qui il s’agissait mais ne serait-ce pas là fausser la donne ?

J’en revenais à mon perpétuel dilemme, cela commençait à m’agacer. Je me redressai brusquement ce qui eu pour effet de bousculer l’étude. Je rattrapai au vol le jouet qui avait manqué de tomber et déposai celui-ci sur mes genoux avant de continuer ma page.



Je n’ai pas vraiment eu le temps de m’habituer à ma nouvelle image qu’une autre nouvelle m’est tombée sur le dos.


J’étais partie faire un tour à cheval pour me détendre et me suis arrêtée dans une auberge pour manger mon (premier) repas de midi.

Je pensais pouvoir ne m’inquiéter que de remplir mon ventre, mais c’était sans compter la présence d’Arkhel. Je reste mitigée vis à vis de cette rencontre. J’ai vraiment eu la sensation de rejouer la même scène datant d’à peine quelques mois, lorsque nous nous sommes rencontrés au Poney Fringant. Après son habituel badinage d’entrée en matière que j’ai bien du mal à supporter, il s’est enfin décidé à me donner les raisons de sa présence.

Son premier indice a été de m’indiquer qu’il était bien venu pour me voir, il a fallut une longue conversation sans queue ni tête pour qu’il précise qu’il désirait vérifier par lui-même si j’allais bien. C’est après avoir vu que je n’étais en aucun cas d’humeur à babiller qu’il est entré dans le vif du sujet, m’annonçant qu’il était présent lors du bal.



Ma main caressai distraitement la crinière ciselée de la sculpture tandis que je cherchais mes mots. Je portai à nouveau l’animal à mes yeux et fronçai les sourcils. Je le déposai avec douceur sur la table et montai rapidement les escaliers. Sur mon lit, je récupérai la couverture que j’adorai tant et l’amenai en bas avant de récupérer le cheval. Sortant pour éclairer le tissu à la lueur de la Lune, je comparai le jouet avec les motifs et me rendis compte qu’ils avaient probablement la même origine. Je ne le connaissais pas, mais lui savait visiblement que j’avais toujours froid lorsque mon mal me rongeait. Le fait de comprendre qu’il prenait ainsi soin de moi jusque dans ce genre de détail me fit éprouver pour lui un élan de tendresse. Je drapai la couverture sur mes épaules et m’installai au mieux sur ma chaise.



L’important à retenir dans cette entrevue sont les propos qu’il a eu vers la fin.


“Ne commence pas à faire ta mauvaise tête, on ne peut pas tout avoir.  Tu es en vie, en bonne santé, toujours aussi mat de peau pour une Elfe, que demander de plus ?”


J’avais de la chance, je n’étais pas vraiment à plaindre. Certes, j’avais oublié des souvenirs précieux, auxquelles je tenais vraiment. Cela m’empêchait-il de reconstruire quelque chose ?

Arkhel ne fait pas souvent preuve de sagesse tout comme il ne me sermonne que rarement, mais il avait raison. En effet, j’ai recouvré ma santé, j’ai pu déjouer la malédiction qui pesait sur moi et je n’ai pas de soucis particulier hormis quelques trous de mémoire..


Il faut absolument que je cesse de me laisser aller à la tristesse, cela ne me ressemble pas et je suis certaine que même lui préfèrerait me voir sourire.



Je me penchai en avant et attrapai la lettre. Il était largement temps. Je la décachetai et l’ouvris pour la lire.



Ma très chère Dame,


Vous vous inquiétez sans doute du mal que vous pensez m’avoir fait. Ne vous en faites pas pour moi. Je comprends et je respecte vos choix, bien que j’aurais souhaité pouvoir mieux vous aider et être à vos côtés lors de ces épreuves.

Vous avez peut-être oublié certains de vos souvenirs mais n’avez pas perdu la capacité d’aimer, j’en suis certain. Vivez et aimez sans crainte. Si la chance nous sourit, nous serons à nouveau réunis. Je l’espère très sincèrement.

Je ne souhaite pas vous en dire plus sur nous ou sur moi, pour ne pas vous influencer. Je ne voudrais pas que vous vous sentiez obligée ou redevable envers moi. Sachez cependant que je n’ai jamais cessé de vous aimer. La lune m’en est témoin.


Votre dévoué et fidèle



Cela avait du sens et correspondait à l’idée que je me faisais de lui. Par cette lettre, il venait de m’aider à résoudre mon dilemme, je n’ouvrirai les carnets que lorsque mes sentiments seraient clairs, quelle que soit la personne. Lentement, je déposai la missive sur la table et souris.