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C’était le dernier jour des festivités d’automne et conformément aux demandes de Camellya j’avais fait le déplacement jusque dans la Comté. Trois longs jours de beuverie continue, c’était comme ça que je voyais cet évènement avant d’en profiter avec elle. J’avais été impressionnée par la quantité de monde se pressant autour du grand arbre ornant la place centrale d’Hobbitbourg et par toute cette joie qui émanait de chacun des participants. Certes, il y avait la boisson et mon amie n’était pas la dernière à en profiter, mais l’ambiance ne ressemblait pas à celle d’une taverne lorsque l’aurore approche.


J’étais fatiguée. Toute cette foule m’oppressait au point que j’avais hâte que tout ceci se termine. Camellya était partie avant moi, peut-être avait-elle compris que j’avais besoin de plus de temps pour me remettre des deux premiers jours de  fête ?

Distraite, j’observai d’un oeil  appréciateur le motif de mon tatouage, toujours un peu gênée à l’idée que quelqu’un puisse découvrir sa véritable signification. Mon attention focalisée sur les volutes ne me permit pas de me rendre compte qu’un Hobbit était affalé sur le chemin que j’empruntai. Je me sentis basculer en avant. M'apprêtant à une lourde chute, je relevai les bras pour protéger mon visage. Quelqu’un me retint et m’aida à retrouver mon équilibre. Le temps de me retourner pour le remercier, il était déjà parti. Je crus apercevoir une cape plus sombre que les autres se faufiler au milieu de la foule. Au vue de la stature, il devait s’agir d’un homme mais rien ne permettait d’affirmer qu’il s’agissait de la personne qui venait de m’aider. J’époussetai ma robe - que j’avais choisi blanche à mon grand désarrois - et contournai le Hobbit, oubliant l’incident.


Camellya n’était pas loin, assise à une table, un verre à la main, elle semblait faire parti du paysage. Je l’observai un instant avant de m’approcher d’elle. C’était une femme d’une grande droiture dont l’aura de gentillesse et de fiabilité attirait les gens. J’admirais chez elle cette facilité à parler avec tout un chacun et nouer de nouvelles relations, choses dont j’étais parfaitement incapable. Alors qu’elle me faisait signe de m’installer à ses côtés, je songeai à quel point nous étions différentes sur bien des points. A commencer par son exceptionnelle capacité à boire une bonne dizaine de pintes sans ciller.


- Tu es vraiment sûre de ne pas avoir de sang Nain ?


Elle éclata de rire.


- Toujours pas, mais tu serais surprise.


J’allais lui demander si la surprise venait de son quart de sang de Hobbit quand la serveuse déposa deux verres sur la table.


- De la part du charmant jeune homme là-bas.


Elle désigna une table derrière elle. Voyant qu’elle était vide, elle bredouilla quelques compliments au sujet du généreux inconnu mais je ne l’écoutai plus. Suspicieuse, je regardai mon verre. L’odeur qui s’en dégageait était agréable cependant j’avais eu mon compte de boissons et de nourritures contenant drogues et autres médications.


- C’était pour toi visiblement. Quelqu’un de censé me commanderait une boisson beaucoup plus forte.


Je haussai les épaules avant d’en boire une gorgée. Le vin était en effet excellent et ne semblait pas contenir d'adjuvant nocif. J’essayai de profiter de l’ambiance de fête qui régnait malgré mes difficultés à supporter tout ce bruit. Le fait que ma compagne se frotte plus que de raison son poignet droit - signe qu’elle était préoccupée par quelque chose - ne faisait que me rendre plus nerveuse. Je me demandais ce qui pouvait bien la perturber alors que nous étions typiquement dans un endroit correspondant à son caractère. J’allais l’interroger quand un bruit se fit entendre, suivi d’une clameur qui se propagea rapidement. Camellya arrêta une serveuse pour la questionner.


- Olalalala, le baladin de ce soir a dit qu’il ne viendrait pas. C’est que c’est quelqu’un d’un peu connu, à c’qu’il paraît. Ça va faire du barouf. Olalala, faut qu’j’y aille sinon vont tout casser, et qui va nettoyer après ?


J’avais espéré que mon amie resterait en dehors de tout ça. C’était peine perdue. Camellya se leva et me fit signe de la suivre. Sûre d’elle, elle écarta la foule et monta sur une table. Ses propos ne firent qu’augmenter mon inquiétude.


- Allons, allons. Mes amis, nous sommes là pour nous amuser, n’est-ce pas ? Avons-nous besoin d’un baladin connu pour cela ?


Je la vis sortir de ses affaires son théorbe et l’accorder tout en attirant l’attention de la foule. Croyant que j’échappai au pire, je commençai à me détendre en écoutant Camellya jouer quelques morceaux quand elle s’arrêta brusquement.


- Voilà, qu’est-ce que vous en pensez ? Et si nous faisions appel à quelqu’un de plus compétent que moi en la matière ? Mon amie, ici présente, est la fille d’un grand musicien et conteur.


Je reculai de quelques pas. Elle n’allait quand même pas me faire ça ? Je la vis tendre la main vers moi pour me faire venir à mon tour sur l’estrade de fortune.

La vile. La perfide !

N’ayant pas le choix et voulant éviter d’agacer plus les spectateurs, je me pliai à sa volonté.


- Fais honneur à ton père.


Vipère ! Traîtresse !!!

Maladroitement, je récupérai ma harpe et en jouai quelques accords pour délier mes doigts, captant ainsi l’attention des festivaliers. Levant les yeux vers le ciel, je constatai que les premières étoiles du soir illuminaient la scène. Le crépuscule.. Pensant à mon père et à ses histoires relatant la splendeur de la Forêt Noire, j’entamai ma première chanson.