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Le jeune homme était parti avant que j’aie eu le temps de répliquer quoi que ce soit et je commençais à m’interroger sur les véritables raisons de sa présence. Fanyarë s’approcha de moi, je me redressai et la caressai doucement. Portant ma main au niveau de mon front, je constatai que j’avais une jolie bosse. Les mésaventures de la veille me donnaient à réfléchir, qu’aurais-je fait si cet homme n’était pas intervenu ? J’avais manqué de prudence.

Je récupérai mes affaires et fus surprise de voir le soin de mon hôte y avait apporté. En quelques minutes j’étais prête à partir, il ne me restait plus qu’à boire et passer le baume sur la blessure de Menelyan. Le fait que mon étalon n’ait pas fait preuve d’agressivité envers mon sauveur m’intriguait autant que le reste.


Une fois prête, je sautai sur le dos de Fanyarë et pris une direction différente de celle du gardien. J’avais envie d’être seule. Profitant du calme de la forêt qui me permettait de détecter le moindre bruit, je gardai mon arc à la main afin de chasser quelques lapins qui pourraient agrémenter mes repas. Ma jument marchait d’un pas sûr et je ne sentais aucune présence menaçante, pourtant, mon esprit n’était pas apaisé. Quelque chose me disait de revenir en arrière, le sentiment d’avoir fait une erreur ne me lâchait pas.

Mes ordres envers ma monture finirent par devenir si contradictoire qu’elle s’arrêta non loin d’une source, je laissai mes deux chevaux boire et remplis mon outre. Je vérifiai que Menelyan ne souffrait pas de sa blessure avant d’échanger les chargements des deux animaux. Je montai ensuite sur l’étalon qui comprit tout de suite ce que je voulais, il fit demi tour et trotta rapidement pour rejoindre le précédent campement, je changeai ensuite de direction pour suivre l’homme.

Je descendais régulièrement de ma monture pour vérifier que je ne perdais pas sa trace, ces courtes haltes me permirent de récupérer du bois ainsi que quelques légumes. Sans le vouloir, Fanyarë leva deux lapins que j’ajoutai au menu de mon prochain repas. Mon pressentiment avait pris une force telle, qu’il s’était changé en inquiétude, aussi, lorsque j’entendis un hennissement au loin, je pressai Menelyan dans la direction de celui-ci.


J’observai Coriolan de loin depuis un bon moment, j’avais rapidement compris que quelque chose n’allait pas mais me refusais à intervenir l’air de rien. Je le vis passer sous la cascade puis chercher quelque chose dans son sac et le boire avant de s’assoupir. Lorsque je fus certaine qu’il n’allait pas se réveiller de si tôt, je fis faire un détour à mes chevaux et traversai le plus discrètement possible la rivière. Sa monture leva les oreilles vers moi avant de se remettre à brouter. Je m’occupai de décharger Menelyan et Fanyarë puis déposai mes affaires près du feu. J’hésitais quant à la suite et finis par décider de préparer rapidement le repas. Utilisant des branches, je fabriquai des broches de fortune pour placer les lapins au-dessus du feu puis j’enveloppai les légumes dans de larges feuilles avant de les enfouir sous les cendres.

L’étalon bai de mon hôte ne cessait de venir à moi pour me donner des coups de museau, si bien que je finis par me lever et me rendre auprès de son maître, ma couverture à la main. Je la déposai doucement sur le gardien avant de passer ma main sur son front. Sa peau était chaude mais il n’avait pas de fièvre, ce qui me rassura. Je pris quelques minutes pour l’observer de plus près. Il avait l’air jeune, sans doute la trentaine. Sa musculature était celle d’un combattant entraîné, pourtant il avait très peu de cicatrices et elles étaient toutes assez discrètes. Il avait détaché ses cheveux et quelques mèches étaient restées collées à son front. En voyant que quelques larmes avaient glissées sur ses joues, j’eus un étrange sentiment de déjà vu. Ma main se leva comme animée d’une volonté propre et les effaça en ce qui semblait plus une caresse qu’autre chose.

Avant d’avoir terminé mon geste, Coriolan réagit très vite et m’attira tout contre lui. Nos visages se touchaient presque. Je sentais dans mon dos la garde de son épée, pourtant je n’étais pas inquiète. Il chuchota à mon oreille.


- Est-ce bien raisonnable, Dame, de vous approcher ainsi d’un homme armé ? J’aurais pu vous tuer.. Que faites-vous ici ?

- Cela fait beaucoup de questions.

- Et pas assez de réponses. Nos routes se sont séparées, comme vous le souhaitiez, alors que faites-vous ?


Je souris légèrement, mon côté espiègle reprenant le dessus malgré la situation qui pouvait très vite devenir inconfortable.


- J'évite à quelqu'un de prendre froid en lui servant de serviette.


Il me repoussa aussi vite qu’il m’avait attrapée et détourna la tête.


- Ne restez pas là.


Je ne pouvais ignorer que sa voix s’était brisée en prononçant ces mots. Je soupirai, n’étant pas vraiment d’humeur à convaincre quelqu’un de cesser de faire sa mauvaise tête.


- Je vous prie de croire que j’aurais préféré des présentations plus agréables. Vous pouvez m’appeler Yualë, j’apprécierais de partager mon repas avec vous. Si toutefois cela ne devient pas une habitude, car c’est loin d’être ma spécialité.


Coriolan prit sa tête entre ses mains et me demanda de partir. Plutôt que de m’éloigner, je récupérai le gobelet au sol et en sentis l’odeur, elle me rappelait vaguement les herbes qu’Arlienon me donnait quand la douleur liée à ma malédiction était trop intense. Dans ces moments-là, j’appréciais la fraîcheur et ses traitements. Me souvenant que j’avais gardé la bourse contenant de nombreux types d’herbes dans mon sac, je m’écartai et mis de l’eau à chauffer. Je trempais ensuite mes mains dans la rivière afin de les rendre plus froides qu’elles ne l’étaient désormais naturellement, puis retournai auprès du jeune homme. Je repoussai doucement ses mains et appliquai les miennes à la place.


- Ne restez pas là.

- Plus je vous regarde, moins j’ai envie de m’éloigner. Dites-moi ce que vous avez Coriolan, ce sera plus simple pour vous aider.


Il écarta mes mains avec douceur mais fermeté.


- Restez si vous le voulez mais éloignez-vous de moi, je ne sais pas combien de temps encore je pourrai vous résister.


Je reculai, me demandant ce qu’il pouvait bien vouloir dire par là. Je ne devais pas être assez loin car il appela son cheval avec le but évident de lui demander de me pousser.


- Je m’éloigne, j’ai compris.


L’étalon vint se placer entre moi et Coriolan, voir celui-ci se recroqueviller sur lui-même me fit étrangement de la peine. Je retournai rapidement au feu pour constater que mon eau était prête. J’ouvris le sac réservé aux plantes médicinales et en sortis de nombreuses petites bourses de couleurs différentes, j’en choisis une noir de jais que j’aurais pu reconnaître entre toutes et en fit sentir le contenu au cheval bai qui s’était approché. Je préparai hâtivement une infusion que j’apportai à Coriolan. Son compagnon de route ne semblait pas plus que ça vouloir m’écarter, au contraire, il poussa le gardien au niveau de l’épaule afin d’attirer son attention. Celui-ci se redressa et, voyant que je lui apportais un bol, tendit la main vers moi. J’y déposai la décoction que j’avais préparée.

Je le regardais boire, ne comprenant pas pour quelle raison je me sentais à ce point inquiète.  J’avais la sensation que mon cœur était en contradiction avec ma raison, quelque chose me troublait et je n’arrivais pas à saisir quoi. C’était en rapport avec cet homme, j’en étais presque certaine. Coriolan me sortit de mes pensées en me rendant mon bol, j’allai aussitôt le rincer dans la rivière et ne revins vers lui qu’une fois le récipient rempli de nourriture. Je déposai l’assiette près de lui, ne sachant pas s’il allait manger, puis préparai mes affaires, m'apprêtant à passer une nuit courte en sommeil.

Je sortis de mon sac mon carnet et l’ouvris à la dernière page. A côté des mots qu’Arkhel avait griffonné un jour, j’avais dessiné quelques myosotis. En soupirant, je tournai les feuillets et écrivis à la suite de mes dernières notes.



12 novembre XXX5


Quelque chose me tracasse, je n’arrive pas à déterminer quoi. J’ai finalement pris la décision de continuer mon voyage auprès de ce “Coriolan”. Il semble quelqu’un d’attentionné et de soigné,  et au vu de son attirail, nous avons les mêmes aptitudes. Je pourrais écrire que je suis restée pour des raisons de sécurité, mais pas de secrets entre nous : Ce qui me trouble est lié à lui. J’ai du temps avant d’arriver dans la Lothlorien, avec un peu de chance j’arriverai à déterminer ce dont il s’agit.



Je l’entendis s’agiter dans son sommeil. Posant mon carnet et ma plume, je récupérai ma harpe et entonnai quelques chansons douces. Lorsqu’il sembla se calmer, je repris mon écriture.



Ce n’est pas aujourd’hui que je vais commencer à croire au hasard. Nous verrons bien où tout ça nous mène.



Je rajoutai quelques bûches dans le feu et récupérai ma cape la plus chaude dans mes affaires. Je grimaçai en me rappelant qu’elle avait été faite en peau de loup et pris la décision d’en tailler une autre quand cela me serait possible. Fatiguée, je ramenai ma couverture de fortune jusqu’aux flammes et m’installai pour dormir.