chap25.pngCoriolan avait du mal à émerger, ce qu’il avait bu était vraiment puissant mais il sentait encore la menace proche d’une autre crise. Il se redressa et prit sa tête entre ses mains pour essayer de faire le point. Le gobelin, le campement, son refus - légitime -, la douleur, l’urgence, l’eau froide de la cascade et les herbes, la couverture... La couverture ? Il la regarda de plus près. C’était la couverture qu’il avait faite tisser exprès pour elle, avec des fils de Lune. Il distinguait les motifs malgré le manque de lumière et commença à les suivre du bout de l’index. Des mearas, les fiers destriers du Rohan, et des mellyrn, les arbres dorés des Elfes. Lui et elle. Elle aimait tellement cette couverture... Son cerveau embrumé fit soudain le rapprochement. La présence de cette couverture signifiait qu’elle était là. Il sursauta.

Yualë dormait toujours, le feu était presque éteint. Il la regarda avec amour puis l’enveloppa dans la couverture. Constatant sa relative nudité par rapport à la température, il enfila son haubert et raviva les flammes.


L’Elfe se réveillait. Elle se redressa brusquement pour voir si Coriolan et Fumée étaient toujours là.Le cheval bai la salua en hennissant. Elle sourit. Cet étalon semblait bien plus amical et moins taciturne que son maître. Elle lui rendit son salut d’un geste de la main. Soulagée, elle se rallongea.

« Bonjour. », dit-elle d’une voix encore dans le monde du sommeil.

« Mes respects, dame. »

Visiblement, il ne cherchait pas à poursuivre la conversation.

« Je voulais m'excuser pour hier. Ce n'était pas très gentil de vous envoyer paître comme je l'ai fait. Je comprendrais si vous aviez changé d'avis, mais si vous voulez toujours de ma présence pour le chemin qu'il nous reste à parcourir... »

Coriolan répondit par politesse, il ne savait plus trop où il en était.

« Ce n'est rien, après tout, nous ne nous connaissons pas, qui dit que je suis quelqu'un de confiance ? »

« Personne ne le dit. Vous ne savez pas vous-même si vous aviez raison de me proposer de partager notre route. »

Il gardait le silence. Sa question n’était que rhétorique. Yualë sourit gentiment et insista.

« Si vous pardonnez mes sautes d'humeurs, il n'y a pas de raison que je ne vous excuse pas votre silence. »


Yualë avait réitéré sa proposition et attendait sa réaction. Elle s’emmitoufla dans la couverture pour se reposer encore un peu.

Elle changeait d’avis ? Le cœur de Coriolan battait la chamade et il avait du mal à respirer correctement.

« Pourquoi ce revirement ? », osa-t-il demander.

« Une intuition. », répondit-elle aussitôt.

Le jeune homme se demandait où elle voulait en venir. Se souvenait-elle de quelque chose ? Soupçonnait-elle son identité ? Pourquoi était-elle revenue ?

« Dame, avez-vous quelqu'un qui vous attende quelque part ? »

« Vous préférez quel genre de réponse ? »

« Quel genre de réponse pouvez-vous faire ? », répondit-il, intrigué. En tous cas, elle n’avait pas perdu ce trait de caractère.

« Vous en donner plusieurs et vous laisser choisir... » Elle soupira en réaction au silence du gardien. « Si je voulais rester proche de la réalité, je dirai que si quelqu’un m’attend, j’espère que cette personne vivra sa vie. »

Coriolan pâlit à cette réponse. Il s’appuya à un arbre pour se donner une contenance.

« Cela me semble assez injuste, qu'a-t-il fait pour mériter d'être abandonné à son sort ? », dit-il très affecté.

Elle fut plus longue à répondre cette fois.

« Il n'a rien fait de répréhensible... Il a été ma victime involontaire. Je n'ai aucun droit sur sa vie et préférerais qu'il soit heureux avec quelqu'un plutôt que de m'attendre... »

« Peut-être vous cherche-t-il... »

« Si c’est le cas, j’espère qu’il a conscience qu’il est des choses que l’on ne peut réparer... » Sa voix se faisait plus faible, ses yeux commençaient à se fermer tout seuls.


Coriolan tenta une autre approche et fit quelques pas vers d’elle, prenant son courage à deux mains.

« Donc vous ne m'en voudrez pas si j'essaie de vous séduire, dame Yualë... »

Elle poussa un soupir digne d’un mauvais comédien.

« Zut, moi qui pensais avoir enfin rencontré un compagnon de route sérieux, voilà qu’il déraisonne. »

« Je vais tenter ma chance. » Il sourit.

« Dame, Souhaitez-vous encore vous reposer ? »

« Vous aviez raison en fait, vous êtes très dangereux. Dois-je craindre le Grand Méchant Loup durant mon sommeil ? »

« Vous n'imaginez même pas à quel point. Si je l’avais voulu, je vous aurais dévorée l’autre nuit, déjà... »

« Alors attendez tout à l’heure je vous prie, j’aimerais bien dormir encore un peu. »

« Je n’y manquerais pas, puisque vous m’y autorisez... »


Coriolan s’allongea près d’elle et la prit dans ses bras. Les cheveux de sa belle lui chatouillaient le visage, mais il n’en avait que faire. Lui aussi ferma les yeux.