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Dans mes rêves, j’étais revenue à cette époque heureuse où rien ne comptait plus que de chasser auprès des miens. D’une foulée agile, je parcourrai les derniers mètres me séparant d’une source d’eau claire. Un Elfe m’y attendait, je reconnus sans peine Arkhel. Il voulait que je le suive et je n’y voyais aucun inconvénient. J’eus la sensation de traverser plusieurs saisons, comme si le voyage s’était effectué en un clin d’oeil. L’été de la Lothlorien fit place à l’hiver du col de Caradhras, l’automne de la Trouée des Trolls remplaça aussi vite la neige du Rubicorne avant d’être effacé à son tour par la Comté verdoyante. Je savais pourquoi j’étais là et les paroles de mon vieil ami sonnaient à présent comme des adieux. Lui aussi avait compris.

Ma course se poursuivit à travers les collines, je cherchais quelqu’un et cette personne m’appelait. J’étais bien décidée à lutter contre mon songe, car j’en connaissais la suite pour l’avoir souvent fait. Mes pas m'entraînèrent à l’intérieur d’une demeure, comme je m’y attendais. L’homme était là, assis à une étude. Sur ses épaules, je devinais les mains d’une femme qui se trouvait derrière lui. Je tentais de relever la tête pour regarder leurs visages, mais j’en étais incapable.


Comme à chaque fois, je me réveillai avec un immense sentiment de frustration.

Je voulus me redresser et me rendis compte qu’une paire de bras me retenait par la taille. Les bras se prolongeaient jusqu’à un homme, dont je me souvenais qu’il s’appelait Coriolan. Je restai sans bouger un moment qui me parut très long, me demandant ce que j’avais bien pu faire la veille.

Sa présence ne me dérangeait pas. J’ajoutai à la liste des choses étranges le concernant ma sensation d’être à l’endroit où je devais me trouver. Lentement, je tentai de me défaire de son étreinte pour me relever. J’allai me redresser quand il m'attira à lui, j’évitai de justesse qu’il ne m’embrasse.


- Je vois, c’est de bonne guerre, et vous m’aviez prévenu.


Il m’avait surprise. Je pris le parti de rire de la situation, ignorant les messages contradictoires de mon corps.


- Euh.. Je crois que vous devriez arrêter de me confondre avec votre cheval !


Je le vis froncer les sourcils, je pouvais lire sur son visage que je l’avais vexé. J’ignorais s’il avait mal pris ma réflexion ou si c’était le baiser raté qui le contrariait.


Voulant échapper à son regard et surtout à la situation, je me levai pour préparer rapidement du thé, ajoutant à mon mélange habituel quelques pétales de rose et de violettequ’Arlienon avait glissés dans la bourse d’herbes médicinales. Je me rendis ensuite jusqu’à la rivière, passai de l’eau sur mon visage pour finir de me réveiller et détachai mes cheveux. J’avais bien besoin de me rafraîchir, mais cela pouvait attendre.

Revenant sur mes pas, je constatai que Coriolan m’observait comme s’il cherchait à graver dans sa mémoire mes moindres gestes et attitudes. Je lui tendis le thé que j’avais préparé pour lui et m’assis à ses côtés. Après quelques minutes de silence, il prit la parole.


- Je voudrais m’excuser pour tout à l’heure. Je n’aurais pas dû. Je crois que je voulais voir votre réaction. Je suis vraiment désolé. Je ne vous embarrasserai plus.


Je ne voulais pas que cet incident devienne un point de discorde. Pour moi, le sujet était clos.


- Si vous m’aviez embarrassée, je serais déjà partie. A la place je vous ai fait du thé, n’est-ce pas plus agréable ?


Quelques minutes passèrent avec pour seul bruit celui de la cascade et de l’eau qui s’écoulait.


- Merci pour le thé. Il me rappelle celui que fait ma soeur.

- Alors nous sommes toutes les deux avisées d’apprécier ce genre de chose.


Menelyan s’ébroua en hennissant, je me tournai vers lui.


- Ne t’inquiète pas, nous allons bientôt repartir.

- Je peux vous poser une question, Dame ? Où allez-vous ?

- Je vais en Lothlorien, à Caras Galadhon.

- Vous vous y rendez pour une raison particulière ?

- Si je vous le disais, ce ne serait plus aussi amusant de vous voir chercher. Je vous laisse plutôt deviner. Et vous ?

- Je vais aller jusqu’en Moria. j’y ai un point de chute et des amis. Je devrais pouvoir trouver de quoi me soigner.

- Je n’aime pas cet endroit. J’ai déjà un sens de l’orientation déplorable en ayant le soleil comme repère, alors sous la terre..

- Je crois que le col du Rubicorne est toujours impraticable. Je pourrai vous guider dans la Moria, si vous me le permettez.

- Vous me laissez le choix entre me perdre au milieux des campements orques et la possibilité de prendre la bonne direction en compagnie de quelqu’un qui parle ma langue ? Voyons.. Quelle option pourrais-je bien préférer..

- Je vous laisse y réfléchir alors.


Je l’observai tandis qu’il terminait son thé, il se dirigea ensuite vers les chevaux avec l’intention évidente de s’occuper d’eux. Je terminai ma boisson en silence, écoutant les bruits de la forêt paisible, cela me rappela à quel point j’avais besoin de calme. Ma décision de quitter l’Ered Luin avait été la bonne, je me sentais plus à l’aise depuis mon départ. J’avais moins de difficultés pour sourire, il n’y avait finalement que le soir où la tristesse parvenait à me rattraper.

Je regardai le ciel et remarquai que la nuit tombait, je me rappelai que lors de mon ancien voyage, une telle constatation m’aurait paniquée, perdre une journée était alors inacceptable.


Voulant profiter de la cascade tant que nous ne nous déplacions pas, je fouillai dans mes sacs pour récupérer des vêtements propres et mon matériel de toilette. Je déposai mes affaires sur un rocher au bord de la rivière puis me déshabillai avant de plonger dans l’eau fraîche. Habituée à évoluer dans un monde d’homme depuis bien longtemps, tant mon sexe était peu représenté au sein de la Garde de la Dame, je ne faisais pas du tout attention à Coriolan, m’occupant de moi comme je l’aurais fait en n’importe quelle autre circonstance.

Je revins vers lui en boutonnant le haut de ma tenue et constatai qu’il s’était tourné. J’accrochai mon haubert détrempé mais propre à une branche puis m'installai confortablement pour démêler ma chevelure. J’étais déjà perdue dans mes pensées, cherchant un indice dans mon rêve qui aurait pu me conduire à déterminer quelles étaient les personnes que je ne pouvais jamais voir lorsque je sentis la présence du gardien derrière moi. Il tendit doucement la main vers la mienne pour que je lui donne la brosse.


- Souhaitez-vous mon aide ?


Je la lui cédai et le laissai faire. Songeuse, j’entortillai ma chaîne autour de mon doigt, jouant avec le pendentif, en me demandant pourquoi j’avais à ce point confiance en cet étranger.