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Coriolan brossait la chevelure de Yualë avec attention. Une fois de plus, il avait manqué de tout faire rater. Il soupira. Par habitude, il prit un des rubans de cuir à son poignet et entreprit de nouer les cheveux de la belle. Il remarqua la fine chaîne et le pendentif autour du cou de Yualë. Alors que son cœur faisait des bonds dans sa poitrine, il réussit à prononcer le nom de la fleur qu’il avait reconnue : « Un myosotis. »

« Pardon ? »

« C’est un myosotis, n’est-ce pas ? »

L’Elfe parut surprise.

« Vous en connaissez la signification ? »

Il répondit dans un souffle.

« Ne m’oublie pas. »

Il se reprit et se tourna, la coiffure étant terminée. Il poursuivit.

« Vous semblez très attachée à quelqu’un... »

« Je vais vous décevoir, mais je n’ai pas vraiment envie d’en parler. »

Il sentit qu’elle n’était pas à l’aise et n’insista pas.

« Je comprends, Dame Yualë. Aussi, je vous propose un marché. Si l’un de nous doit révéler quelque chose de personnel, l’autre devra en faire de même. Autrement, ce serait injuste. »

« Je préférerais discuter de notre prochaine étape. »

« Vu l’heure, profitons de la fin de cette journée pour nous reposer. Demain nous pourrons être à Gwingris. La route est peu accidentée, nous verrons les portes de la Moria dans peu de temps. »

« J’ai hâte de repartir, je n’aime pas rester sans rien faire. »

« Ne vous en faites pas, vous passerez vite de l’autre côté, les galeries de la Moria n’ont plus de secrets pour moi. »



..~*~..



Si Coriolan avait indiqué que le voyage serait rapide, je n’avais aucune intention de presser le pas. Ce que je désirai, c’était seulement me déplacer à cheval, sentir le vent fouetter mes cheveux et entendre les bruits de la nature. En rangeant mes affaires le lendemain, je fus de nouveau troublée par la présence de la cape en peau de loup, c’était pour moi comme si j’avais écorché un Elfe pour m’en faire un manteau. Je regardai mon nouveau compagnon de route qui parlait à son cheval puis grimpai sur le dos de Fanyarë.


- Nous devons nous arrêter à Echad Elenath.

- Un détour ? Je croyais que vous étiez pressée.

- Mais pas de terminer mon voyage.


Je repensai à la crise à laquelle j’avais pu assister.


- Pensez-vous pouvoir tenir le coup ?

- Ça ira.


Il passa devant et prit la direction de la petite ville.


- Vous souhaitez y faire quelque chose de particulier ?

- Je vais acheter du tissu, peut-être du cuir ainsi que quelques peaux. Enfin, du matériel pour me refaire une cape.

- N’en avez-vous déjà pas une ?

- Elle est en peau de loup.

- Cela ne vous plaît pas ?


J’esquissai un sourire.


- Il s’agit là d’une question personnelle. Dois-je vous rappeler notre marché ? Si je vous réponds, vous ne pourrez plus me demander quoi que ce soit avant que je n’ai à mon tour fait de même. Qui sait quand cela arrivera..

- Ça n’est pas un problème.


Il s’agissait là d’une expérience que je n’avais partagée qu’avec Arkhel. Je cherchais mes mots, me demandant comment je pourrais bien expliquer les faits sans passer pour quelqu’un ayant perdu la raison.


- J’ai été moi-même louve un jour.. Ne vous méprenez pas, il ne s’agit ni d’un rêve, ni d’une fantaisie de ma part, juste les effets d’un puissant sortilège.. Depuis, lorsque je vois quelque chose en peau ou en cuir de cet animal, c’est comme si l’on avait dépecé quelqu’un de ma famille.

- Pardonnez mon impudence Dame, mais pourquoi l’avoir gardée dans ce cas ?

- Elle était au fond de mes affaires de voyage. Je n’ai pas fait attention en les triant. Je l’aurais prise de toute façon, je n’avais pas le temps de m’en refaire une autre aussi chaude avant mon départ.


La pluie commença a tomber, je rabattis ma capuche sur mon visage et constatai que Coriolan n’en avait pas.


- Et puis ce sera l’occasion de vous en refaire une également. Quel genre de personne êtes-vous pour avoir oublié qu’il pleut de temps en temps ?

- Il s’agit d’un choix personnel. J’aime sentir le vent et la pluie sur mon visage. Et cette cape m’a été offerte par quelqu’un qui m’est cher. A votre tour.

- Zut, moi qui voulais vous faire patienter plus longtemps pour votre prochaine demande.. Je vous écoute.

- Dites m’en plus sur la louve que vous avez été.

- Votre deuxième question donc.. Mon âme et mon corps ont été séparés durant quelque temps, je n’ai eu d’autre choix que de m'incarner en ce qui m’était le plus proche. Un ami très cher est ensuite venu me chercher et me guider pour que je puisse revenir à ma forme première.


Je fis la moue.


- Je dois passer pour une folle.. J’ai conscience que dit de cette façon, cela semble invraisemblable.


Il ne répondit pas, son attitude n’était pas du tout moqueuse. Il semblait réfléchir.

En arrivant aux abords de la ville, je remarquai quelques archers s'entraînant sur une peau de bête. Coriolan dut comprendre ce qui me dérangeait car il pressa légèrement l’allure de Fumée pour s’éloigner.

J’avais un mauvais pressentiment.



Echad Elenath n’était pas ce qu’on pouvait appeler le fleuron des villes elfiques, les préjugés allaient souvent bon train et les autres races regardées de travers. Que dire de l’effet que pouvait avoir l’arrivée d’une Elfe accompagnée d’un Humain dans un lieu aussi reculé ? Ils agirent tel que je l’avais imaginé, parlant une langue qui n’était pas la sienne et faisant des commentaires désagréables. Par provocation, je pris le bras de Coriolan, répondant d’un sourire espiègle à son air surpris puis me penchai vers lui et lui glissai à l’oreille.


- Jouez le jeu..


Je fis glisser ma main dans la sienne et l'entraînai avec moi sans attendre sa réponse. J’écoutais les ragots des Elfes et leurs réactions choquées m’amusaient au plus haut point. Je connaissais bien les lieux pour m’y être régulièrement rendue, aussi je me dirigeai sans hésitation vers le commerce où j’aimais acheter mon matériel. Notre arrivée fit partir une Elfe qui entraîna rapidement sa fille à l’extérieur.


- Suilad Yualë.

- Suilad Acalir, puis-je te demander de parler en Westron, je ne suis pas venue seule.


Mon ami me sourit.


- Tout ce que tu voudras. De quoi as-tu besoin ?

- De quoi faire deux capes chaudes et solides. Désolée pour tes clientes.

- Elles n’auraient rien acheté de toute façon. Et puis je sais que tu vas encore me dévaliser, au moins tu auras plus de choix.


Je continuai ma discussion avec le commerçant en observant Coriolan du coin de l’oeil. Il attendait patiemment et suivait mes déplacements. Le choix des couleurs fut rapidement fait, vert et or pour moi, bleu teinté de gris et blancpour lui. Je passai ensuite aux fils nécessaires pour coudre et broder et terminai par ce qui manquait à mon nécessaire.

Acalir s’adressa à Coriolan.


- Vous n’avez pas choisi la personne la plus discrète pour traverser cette ville mon ami. Telle que je la connais, elle va encore faire des vagues.

- Voyons Acalir, ne dis pas ce genre de choses à mon compagnon, il va se faire des idées. Celles-ci risqueraient d’être assez justes au demeurant.


Nous éclatâmes de rire tous les deux, lui aussi avait parfois bien du mal à supporter l’esprit étriqué de certains. Coriolan haussa les épaules.

En sortant de la petite boutique, un comité d’accueil nous attendait. J’étais toujours de mauvaise humeur et n’avais pas perdu mon idée d’agacer les Elfes présents. Dans cette optique, je continuai mon manège, prenant le bras de Coriolan pour me rendre chez un marchand de peau. Je voulais border ma cape de fourrure mais n’avais pas le temps de travailler le cuir de mes proies durant un voyage, m’obligeant à acheter ce dont j’avais besoin.

Alors que je choisissais quelques peaux pouvant convenir à ce que j’avais en tête, un Elfe me bouscula en s'esclaffant. Coriolan s’inquiéta de savoir s’il m’avait fait mal.


- Tout va bien ?

- J’en ai vu d’autres. Laissez-moi m’en charger.


Je me tournai vers le petit groupe, parlant d’une voix largement audible.


- Il est vrai que ceux qui se sentent inférieurs ont toujours tendance à s’enfuir après s’être bien amusés.

- Si tu as quelque chose à nous dire, dis-le-nous plutôt en face.

- Mais je viens de le dire, ce n’est pas de ma faute si vous êtes partis avant de vous excuser..


Lorsqu’il s’était retourné, j’avais reconnu l’un des Elfes s’entraînant à l’arc sur la peau de bête à l’extérieur du village.


- Je n’ai pas envie de faire un esclandre pour avoir été poussée par un goujat. Avez-vous un autre moyen de régler ton soucis avec moi et mon ami ? J’entends par là en évitant les rires gras et autres fuites après méfait.


Plutôt que de répondre à ma provocation, l’Elfe changea de sujet, énonçant clairement ce qu’une majorité pensait dans ce village.


- Plutôt que de perdre ton temps avec cet Humain, tu ferais mieux de te joindre à nous, nous allons justement boire un verre.

- Dites-moi que vous comptez prendre une pinte de Noirépine et je vous suis !


Ma réplique l’avait mis en colère.


- Si tu tiens tant que ça à te ridiculiser, il y a d’autres moyens que de traîner avec une sous race.

- Que proposez-vous ? Je vous écoute.

- Un petit exercice à l’arc, pour te rappeler que ta place n’est ni à chercher à égaler les hommes, ni à te présenter avec arrogance avec cet Humain.

- Quelque chose de plus équitable m’aurait surprise.


Je suivis le groupe jusqu’à l’extérieur du village, Coriolan sur les talons. Je sentais que le gardien bouillonnait, je me contentai de lui adresser un sourire en réponse à ses réactions silencieuses. Je me demandai si je n’allais pas trop loin. Me rappelant que ce n’était pas la première fois que je devais affronter ce genre de grossier personnage, mon envie de leur faire rentrer leurs propos au fond de la gorge fut encore plus forte.

Comme je l’avais imaginé, ils s’arrêtèrent à l’endroit où ils s’étaient entraînés. Après s’être concertés, ils me proposèrent une épreuve simple consistant à viser un petit sac à une distance de plus en plus grande. Je récupérai mon arc que j’avais laissé sur Fanyarë. Coriolan profita de ce moment pour me prendre à part. Il posa ses mains sur mes épaules pour me forcer à lui faire face. Sa ton était ferme et grave.


- Dame, quel est donc tout ceci ? Vous comptez vous battre pour moi ? Je me moque bien de ce qu’ils peuvent dire de moi. Sachez que je ne vous empêcherai pas de faire selon votre envie. Mais voulez-vous vraiment vous mettre à dos les vôtres ?

- Je vous promets de vous expliquer tout ce que vous voudrez après.

- Je ne suis pas un jouet, Dame.

- Tout comme je ne suis pas une Elfe, messire. Maintenant si vous voulez bien m’excuser..

- Attendez. Quelle est votre dextérité à l’arc ?

- Très certainement inférieure à la leur. Je ne compte pas gagner.


Il soupira.


- Permettez-moi tout de même de vous souhaiter bonne chance.


Il déposa un baiser sur la main qui tendrait l’arc.


- Souhaitez que ma ruse fonctionne, ce sera suffisant.


Je pris la direction du champ d'entraînement, puis me ravisai et retournai vers lui.


- Croyez bien que je ne vous prends pas pour excuse. Ce n’est pas la première fois que j’ai des soucis dans la région. Je suis juste un peu têtue.

- Faites donc, j’ai déjà dit que je ne vous retiendrai pas.


J’avais le sourire aux lèvres en me dirigeant vers les archers. Celui-ci fit rapidement place à un air plus sérieux, je devais me concentrer.


- Votre “ami” ne vient pas vous aider ?


Sa façon de prononcer ce mot m’écorcha les oreilles.


- Contrairement à vous, il sait qu’il ne suffit pas d’être un homme pour remporter une victoire.


Je refusai leur proposition de me fournir un arc et me mis en place. Les premiers tirs ne me posèrent pas de problème, l’arc n’était pas mon arme de prédilection, mais je chassais très souvent à cheval ce qui jouait en ma faveur. Les rires des Elfes avaient fini par se tarir, comprenant qu’ils ne pourraient pas gagner si facilement à ce petit jeu.

La distance grandissait et j’arrivais à la limite de mes capacités. Ne voulant pas m’avouer vaincue en échouant bêtement, je misai sur ma précision, visant plutôt la boucle qui retenait le sac. Comme prévu, celui-ci tomba au sol, ma flèche ayant tranché la lanière. Bien que m’ayant battue, les archers ne riaient plus, ce n’était qu’une demi victoire et ils le savaient bien.

Satisfaite de mon tour, je retournai vers Fanyarë et rangeai mon arc dans son étui. J'aperçus Coriolan dire quelques mots à l’Elfe indélicat avant de revenir vers moi.


- Que lui avez-vous dit ?

- Je lui ai dit que la Dame grise viendrait pour lui.

- Il a pâli comme si vous lui parliez d’un fantôme..

- C’est presque le cas.


Je terminai de ranger les tissus, regrettant de n’avoir pas pu acheter de peau avec toute cette histoire.


- Je crois que je dois m’excuser. Ma mère était Humaine, ces réactions sont celles qu’elle a dû affronter durant toute sa vie auprès de mon père. Je manque de tolérance à ce propos. Loin de moi l’idée de vous prendre pour un jouet, leur réaction envers vous a ranimé de vieilles blessures.

- Vous n’avez pas à vous expliquer.

- Je vous devais bien ça.


Je repris mon air taquin.


- Et puis comme ça j’aurai de l’avance.

- Mes douleurs... C’est à cause de mon frère.


Sa révélation me surprit, n’avait-il pas compris que je plaisantais ? Je l’observai attentivement, cherchant ce qui l’avait poussé à me parler. Il vérifiait l’harnachement de Fumée. Je n’hésitai pas longtemps avant de poser une question.


- Vous a-t-il fait du mal ?

- Son coup a tapé là.


Il pencha la tête, prit ma main et la posa sur la partie arrière droite de son crane.


- Depuis, j’ai régulièrement des douleurs plus ou moins aiguës suivant mon état de fatigue. Dans les pires crises, je risque de perdre mon oeil droit.


Il marqua une pause.


- Mais bientôt, tout ira mieux.

- Quelqu’un pourra vous aider où vous vous rendez. Ai-je bien compris ?

- Je l’espère.

- Ne soyez pas défaitiste.

- Réaliste, c’est tout.


Je retirai ma main et déposai un léger baiser à la place. Il rougit.


- Au pire, il paraît que cela guérit tout.


Avisant les gens non loin, je pris la bride de Menelyan.


- Et je pense que nous devrions y aller.


Il acquiesça.

Echad Elenath était toujours en vue lorsque Coriolan arrêta son cheval.


- Dame...


Une fois à son niveau, je stoppai ma monture à mon tour, attendant ce qu’il avait à me dire.


- Votre main.

- Voilà seulement quelques jours que nous cheminons ensemble et vous me la demandez déjà ?

- Votre main.


Il insistait et tendait la sienne vers moi. J’avais bien compris qu’il désirait que je lui montre ma main gauche, ce que je fis en soupirant. Il retira mon gant puis examina mes doigts. Il sortit un pot d’un de ses sacs et appliqua un baume sur la brûlure résultant du concours d’archerie.

Puis il déposa un baiser léger sur ma paume.


- Il paraît que ça guérit tout...

- Pour cela, il faut bien viser.


Il n’avait pas lâché ma main et regardait les dessins du tatouage. Je m’inquiétai de la possibilité qu’il ne découvre ce qu’ils camouflaient, que ferait-il alors ?


- Mon gant, je vous prie.


Il ne fit aucune difficulté et me rendit main et gant. Étrangement, son silence me fit penser qu’il en savait plus que je ne pouvais l’imaginer.