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Le néant, voilà ce que je ressentais depuis notre arrivée dans la Moria. Il m’était déjà difficile de supporter cet endroit que j’évitais autant que faire se peut, la situation n’arrangeait pas mon angoisse habituelle lorsque j’en franchis la Porte.

Coriolan parlait peu, je sentais sa souffrance et respectais son choix de ne rien dire. J’étais impuissante dans cette épreuve et ne pouvais qu’accepter sa décision de ne pas s’ouvrir à moi. De mon côté, mon supplice était différent, je me sentais déchirée entre mon coeur et ma raison. Je ne savais plus très bien où j’en étais et lorsqu’il se montrait attentionné avec moi, mes sentiments se faisaient plus cruels encore.

Je ne cessais de maudire ce sang contre lequel je ne pouvais lutter et avais la sensation d’être une créature des plus viles. Comment avais-je pu oser dire à cette personne que j’espérais que son souhait se réalise..

Je me répugnais moi-même.


J’avais toujours eu une estime de moi positive. Durant mes jeunes années, mes parents s’étaient efforcés de me transmettre les qualités qu’ils jugeaient nécessaires pour que, ma vie durant, je n’aie pas à m’inquiéter de savoir si ce que je faisais était bien ou mal. Droiture, honnêteté et fidélité faisant bien évidemment partie du lot. Ce sentiment lancinant de trahison était donc nouveau pour moi car, même lorsque j’avais quitté la Dame, je l’avais fait sans aucune arrière-pensée. J’avais bien évidemment des mauvais côtés, mon impulsivité me poussait parfois à agir sans réfléchir et les habituelles taquineries de ma mère avaient teinté mon langage, celui-ci pouvant devenir provoquant voire mauvais. Il m’arrivait de commettre des impairs, le mélange de culture dans lequel j’avais baigné amenant parfois quelques confusions.  Il m’était même de temps en temps impossible de dire les choses lorsque je sentais que les conséquences ne pouvaient pas toutes être contrôlables. Mais tout ceci n’était rien comparé à l’accablement que je ressentais depuis que j’avais réalisé vers qui allait mon inclination.

Je restais le plus souvent perdue dans mes pensées, m’occupant de Lossëa et de mes deux chevaux, nerveux depuis notre entrée sous les voûtes de la Moria. Malgré la présence de mon compagnon de route avec qui j’avais si facilement discuté ces derniers temps, je reprenais ma manie de m’adresser à Fanyarë ou Menelyan. Je leurs avais toujours parlé de tout, comme s’ils étaient capables de me conseiller. Mettre en mot à voix haute ce qui me perturbait m’avait bien souvent aidée à y voir clair sur ce que je devais faire. Ces moments - les seuls où j’abandonnais depuis toujours le westron pour la mélodieuse langue elfique - ne faisaient que me décourager encore plus.

Quelle solution pourrait-il y avoir à ce nouveau dilemme ? Il n’y en avait pas. Tout du moins je n’en voyais pas d’autre que de me taire.


Il était visible que mon attitude minait Coriolan, aussi je ne répliquais rien lorsqu’il proposa de m’emmener dans un endroit qu’il appréciait pour tenter de “dissiper ma mélancolie”. Le lieu en lui-même était majestueux. Au sein des profondeurs de la Moria, dans la cour de ce qui semblait être un ancien palais, se dressait une immense géode d’améthyste éclairée par quatre flambeaux.

Je sentis qu’à nouveau les réactions de mon corps m’échapper, ce lieu éveillait en moi le même genre de sensation que j’avais lorsque je passais à côté de la cheminée de ma chambre. Plus par réflexe que volontairement, je m’approchai de l’immense amas d’éclats violet. Ici, quelque chose d’important s’était produit pour mon ancienne moi, quelque chose qui aujourd’hui me brisait le coeur, me mettant à nouveau face à la triste vérité : celle que j’avais été n’était plus. La conscience de ces souvenirs manquants me dévora, si bien que je restai figée devant le monument, subissant les assauts violents de tous ces sentiments s’ajoutant à ma culpabilité.

Je crus entendre quelque chose à travers le voile de mes pensées. Je me tournai avec difficulté dans la direction du bruit pour découvrir que Coriolan me regardait.


- Puis-je faire quelque chose pour vous ?

- Je ne sais pas..


Je pris conscience que quelque chose de mouillé baignait mes joues, j’élevai mes doigts que je ne sentais plus vers celles-ci pour en effacer les larmes. Je ne le vis pas approcher, concentrée sur ce que je tentais de faire. Il me prit doucement dans ses bras et chassa sans difficulté les marques visibles de mon désarroi.


- Vous allez sans doute encore m’en vouloir, mais je ne vois pas quoi faire d’autre..


Il me serra un peu plus contre lui avant de déposer un baiser sur mon front puis sur mes lèvres. Au milieu de ce tourbillon incessant d’émotions, il me semblait être le seul îlot de calme. Je m’appuyai sur lui, en ayant assez de lutter contre ce que je désirais ardemment. Je sentis que mon attitude le bouleversait, en réponse, il me pencha légèrement en arrière et m’embrassa. Ma surprise fit rapidement place mon envie de répondre à ce baiser. Je m’abandonnai dans ses bras. Il ne desserra pas son étreinte durant un long moment. Il me conduisit ensuite près du feu et, tandis qu’il s’éloignait pour s’affairer à autre chose, je fus noyée par ce que je ressentais, la culpabilité me lacérant le coeur.


Je me réveillai le lendemain matin sans trop savoir comment je m’étais couchée ni ce qui s’était produit suite à notre baiser. Coriolan terminait de préparer notre paquetage, sanglant ses effets sur Fumée. Je me levai en agrippant la couverture, me rappelant par la même occasion que mon comportement de la veille n’était pas des plus respectable. Le gardien me parla, je lui répondis par habitude, n’entendant pas sa réponse, j’avais juste compris que c’était le dernier jour où nous pourrions nous voir avant des au revoirs qui pourraient très bien se changer en adieux.

Durant notre trajet, le désespoir scella mes mots. Je ne pouvais que tenir sa main pour me rassurer. Je le sentais parfois se raidir, ce qui rajoutait un poids supplémentaire à ma détresse. Je n’étais pas capable d’apprécier notre arrivée dans la XXIe salle, j’étais plus que jamais distraite, perdue dans ces pensées qui ne me laissaient pas de repos. Coriolan me laissa seule à l’entrée de l’immense salle tandis qu’il s’occupait de me trouver un guide pour la fin de mon voyage. C’était là que nous devions nous séparer.


Je vécus notre dernière discussion comme un rêve, répondant par automatisme. Je m’entendis lui dire qu’il ne devait pas s’inquiéter de moi et seulement de lui, seule certitude que j’avais depuis longtemps. Peut-être était-ce ma tristesse qui guida ses gestes ? Il s’approcha de moi et m’embrassa comme il l’avait déjà fait devant la géode. Ma main se porta vers la fleur que je portais autour du cou, la douleur de ma trahison se mêlant à la douceur de son geste. Lorsqu’il s’écarta de moi, son regard fut attiré par mes doigts, un éclair de souffrance passa dans ses yeux puis il me serra une dernière fois dans ses bras avant de me souhaiter bon voyage.

Sa disparition au détour d’une rue vainquit les dernières résistances de ma volonté à tenir ma promesse. Seule au milieu de toute cette effervescence, je m’effondrai contre Menelyan, laissant les sanglots m’envahir.