chap30.pngElanorel était assise à côté du lit où Coriolan était allongé. Avec son haubert tout simple, à veiller sur son ami, difficile de croire qu’elle n’était autre que la Dame grise, cette Elfe en armure qui avait défrayé la chronique à l’époque et qui était devenue une légende. Elle changea le linge humide placé sur le front et les yeux du jeune homme.

Depuis son évanouissement, il n’avait pas rouvert les yeux. Renawen avait crié, Elanor avait agi promptement et avait réussi à le retenir pour qu’il ne se fasse pas plus mal en tombant. Avec l’aide de leur hôte, elles l’avaient installé à l’étage. Des décisions devaient être prises, et vite.

« Ce voyage était une folie, il a trop forcé. »

Le verdict de Renawen était sans appel.

« Et s’il ne se réveille pas, hein ? »

Nabi avait les yeux embués de larmes.

Rena enfila une cape et s’arma de son bâton. A ses pieds, son lynx s’étirait. Elle se voulait malgré tout rassurante.

« Je vais le chercher et le ramener ici, ne t’inquiète pas pour ça. »

La chasseuse renifla.

« Qu’est-ce que j’vais faire ? »

Elanorel prit la parole.

« Cherche-la et suis-la. Elle se rend sûrement à Caras Galadhon. »

Nabi essuya ses larmes d’un revers de la main. Elle était prête.


Elanorel examina une fois de plus l’oeil droit de Coriolan. Il était encore rouge. Elle calcula mentalement dans combien de temps Renawen pouvait revenir avec le guérisseur. Il faudrait patienter. Elle espérait que la fatigue et le chagrin n’avaient pas trop envenimé les choses, même s’il était certain qu’ils les avaient accélérées. Elle essayait de récolter le maximum d’éléments que Coriolan pouvait lui donner dans son sommeil forcé. En effet, il lui arrivait de parler et certains mots revenaient régulièrement. Parfois, il cauchemardait. C’était dans ces périodes où il semblait le plus souffrir. De nombreuses larmes coulaient le long de ses joues, ses mains se crispaient. Elanorel se pencha vers lui et lui murmura à l’oreille.

« Remets-toi vite, idiot, que je puisse te botter les fesses. »

Elle crut voir un sourire sur son visage, mais elle l’avait sans doute imaginé. Elanorel laisse son esprit fouiller ses souvenirs récents.


Après son arrivée, chacune avait endossé son rôle. Rena était partie depuis une demie journée. Elanor le veillait déjà. Elle était perdue dans ses pensées quand elle vit passer un arc et une épée par la fenêtre, suivis par Nabi. Elle avait visiblement escaladé le mur.

« Tu ne peux pas emprunter les portes, comme tout le monde ? »

« Elle arrive, elle vient ici. », répondit-elle comme seule explication.

« De quoi parles-tu ? »

A peine Elanorel avait posé cette question qu’elle comprit l’angoisse de la chasseuse. Yualë venait.

« Qu’est-ce qu’on fait ? », murmura la jeune Humaine.

« On attend sans bruit. Laissons notre ami s’en charger. »

Elles entendirent les coups sur la porte, légèrement insistants, cette dernière s’ouvrir, puis des voix.

« Euh... Salutations. »

Yualë était surprise de voir qu’un Nain avait ouvert. Pourtant, cela lui sembla logique quelques instants après. Qu’espèrait-elle après tout ? Peut-être aurait-elle préféré se retrouver face à Coriolan. Elle ne savait plus trop.

« Salutations et respects, noble dame. Que me vaut le plaisir de votre visite ? », lui répondit le Nain à la barbe blanche. Il semblait fort poli et aimable. Sa voix était grave et posée, son accent était à couper au couteau et ses “r” roulaient comme des pierres sur la montagne.

Yualë était un peu décontenancée.

« Je... On m’a dit que je pourrais trouver quelqu’un ici. »

Elle se reprit.

« Je voudrais voir Coriolan. J’ai quelque chose à lui donner avant mon départ. Laissez-moi le voir, je vous prie. »

« Venez, entrez. »

Il s’effaça pour la laisser passer. A l’étage, Elanorel et Nabi retenaient leur souffle.

« Je crois que nous n’avons pas été présentés. Je m’appelle Snafell. »

Le Nain lui désigna une chaise pour qu’elle s’installe et vérifia du coin de l’oeil que la porte vers l’étage était fermée.

« Je doute que vous buviez de la bière forte comme moi, je n’ai que du lait à vous offrir. »

Il déposa un gobelet ouvragé devant l’Elfe, puis s’installa à côté d’elle.

« Alors, dites-moi ce que je peux faire pour vous. »

« Je souhaiterais voir Coriolan pour lui donner un présent. Je n’ai pas beaucoup de temps, le convoi part bientôt. »

Elle serrait un sac contre elle.

« Je suis vraiment désolé, je peux pas accéder à votre requête. »

Les yeux de Yualë étaient plein de détresse.

« Mais je... »

« Il est souffrant. Je ne pense pas qu’il souhaite être vu dans cet état. Je peux cependant lui remettre ce cadeau de votre part. »

Snafell lui apporta de quoi écrire.

« Tenez, laissez-lui un message. Dites-lui où vous allez. Il sera bientôt tiré d’affaire, il vous rejoindra. »

Il posa sa main sur celle de Yualë. Il faisait tout pour être rassurant. Il la laissa écrire, rassembla présent et lettre dans un coffre en bois précieux. Il sembla satisfait quand il la vit vider son verre de lait.

Snafell raccompagna Yualë à la porte en lui souhaitant bon voyage, puis retourna vers la table pour ranger.

« Je suis désolée, dame Elanorel, je ne pouvais faire autrement. »

La Dame grise s’était déplacée sans un bruit. Elle posa la main sur l’épaule du Nain.

« Je sais mon ami. Vous avez bien fait. »

« Elle était si troublée, cela lui permettra d’avoir du repos et les idées plus claires. »

« Merci pour elle. »

« Son talisman est puissant. Dame Camellya a décidément des contacts surprenants. »

Elanorel sourit.

« Et lui, comment va-t-il ? »

« Toujours pareil, il n’a pas encore ouvert les yeux. Venez, votre avis me sera utile. »


Yualë avait rejoint Vitilfur et son convoi. Elle n’était pas très à l’aise sur sa nouvelle monture.

« Ne vous en faites pas, tout va bien se passer. Je veillerai sur vous comme sur ce que j’ai de plus cher. », lui déclara le chef de la caravane.

« Et de quoi s’agit-il ? »

« De Gipsie. Vous êtes assise dessus. »

Vitilfur flatta l’encolure de la chèvre.

« Vous me comparez à votre chèvre ? »

Le Nain éclata de rire.

« Ahah, vous êtes piquante. Le voyage va être amusant. »


Elanorel ne dormait pas. Elle attendait patiemment que l’heure vienne. Cette nuit-là, sa persévérance fut récompensée. Il serrait sa main.

« Te voilà enfin... », dit-elle doucement.

« Elanor ? »

Sa voix était faible.

« Oui, je suis là. »

« J’ai utilisé ton nom... Pour rabattre le caquet de blancs-becs elfes. Il fait toujours son petit effet. »

Cette idée la fit sourire.

« Où ? Que je leur rende une petite visite. »

« Echad Elenath... »

Sa voix s’éteignait.

« Je vois. »

Mais il avait de nouveau rejoint les limbes.


Yualë chevauchait en compagnie de Vitilfur depuis quelques jours. Le Nain se plaisait à lui conter les histoires secrètes des galeries de la Moria et les aventures rocambolesques de ses ancêtres, qu’il avait fort nombreux. Son rire raisonnait sur les pierres.

La Porte des rigoles sombres. De l’autre côté, la Lorien, lumineuse, verdoyante. Yualë respirait enfin.

« Ma bonne dame, le convoi va jusqu’à Mekhem-Bizru. Permettez-nous de vous accompagner jusque là. »

Elle acquiesça.

Elle n’était pas la seule à apprécier de retrouver l’air libre. Ses deux chevaux piaffaient d’impatience et la petite louve humait l’air avec plaisir.

A Mekhem-Bizru, Yualë prit congé de son guide. Vitilfur voulut lui parler à l’écart de son équipe.

« Mes gars vont me chambrer pendant une semaine, mais tant pis. Tenez, c’est pour vous. De sa part. »

Il lui tendit un petit sac en cuir.

« Bon, c’est pas tout ça, mais mon chargement m’attend. Bon voyage et bonne chance pour le reste ! »

Alors qu’il s’éloignait, Yualë ouvrit le sac et en sortit une longue lanière de cuir à laquelle était accroché un pendentif en bois. La plaque représentait un cheval et diverses gravures. Un grand soin y avait été apporté. Sur l’autre face, on pouvait lire dans le bois “Lossëa”. Elle sourit.


Renawen était de retour. Et elle n’était pas seule.

« Par ici, je vous prie. »

Elle s’effaça pour laisser passer une personne emmitouflée dans une grande cape. Cette dernière fit sortir tout le monde de la chambre. Elle ouvrit son sac, retira sa capuche et s’approcha de Coriolan pour l’examiner. Ses yeux étaient froids comme la glace, sa peau parcheminée était marquée de runes. C’était l’une des dernières Naines qu’il était donné de voir.