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Arrivée dans ma chambre, je déposai la lettre sur l'étude avant de me changer, Lossëa m'avait attendue une bonne partie de la journée et elle méritait bien une petite balade pour se dégourdir les pattes. Je descendis rapidement les quelques marches me permettant de rejoindre l'entrée de la petite taverne, saluant au passage la tenancière que je connaissais bien.

Une fois dehors, je décidai finalement de ne pas rester dans l'enceinte de la ville. Je me sentais oppressée par l'ambiance de la cité elfique et j'avais grand besoin d'être moi-même. Rapidement, je sellai Menelyan, me félicitant d'avoir conservé mon carquois et mon arc à proximité de son box.

Atteindre la forêt et la liberté qu'elle m'apportait me fit un bien fou. J'avais vécu de nombreuses années à Caras Galadhon et j'aimais beaucoup cet endroit, toutefois je constatai ma relative incapacité à y rester même une semaine sans me sentir mal à l'aise. Je me demandais si vivre parmi les Humains avait changé ma façon de voir les choses ou si cela n'avait fait qu'exacerber des traits de mon caractère déjà présent.

J'avais laissé Menelyan prendre la direction qu'il désirait et il avait longé le fleuve, rejoignant les passeurs permettant de se rendre dans la Forêt Noire. Avant d'avoir réellement conscience de mon geste, j'avais négocié mon trajet auprès de l'un d'entre eux et m'étais retrouvée à traverser l'Anduin en calmant ma monture qui n'avait jamais apprécié ce genre de transport.


La Forêt Noire était un lieu très particulier pour moi, c'était l'endroit où j'avais vécu avec mes parents, celui où j'étais tombée malade et celui où je savais qu'une partie de ma famille vivait. Une fois sur la berge, je pris le temps de calmer l'étalon avant de reprendre ma route. Je n'avais pas prévu ce voyage et ne comptais pas m'attarder, je n'avais pas même pensé à prendre mes armes aussi je restai vigilante, longeant les lieux que je savais habités et gardant mon arc en main lorsque je devais m'enfoncer dans l'immense forêt désolée. Bien que la nuit soit tombée, mon allure était soutenue, je connaissais parfaitement le chemin et ne m'éloignais de celui-ci que lorsque je risquai de croiser des créatures agressives.

L'aube était presque là lorsque j'atteignis mon but, je descendis de ma monture et la laissai paître dans ce qui était auparavant un potager. Je contournai la maison que j'avais visité en février et me rendis à l'endroit que j'avais alors soigneusement évité. Il s'agissait d'un arbre immense dont les racines formaient des entrelacs dénudés effleurant la terre, il avait été la raison pour laquelle mes parents s'étaient établis en ce lieu. Malgré la malédiction que subissait la forêt depuis de nombreuses années, il était toujours aussi vert et sa splendeur contrastait fortement avec les bosquets l'entourant. A son pied se trouvait un creux naturel, quelques années auparavant, j'y avais creusé une fosse où j'avais déposé le corps de ma mère et je sentais qu'il était à présent temps de tenir ce qui était à la fois une résolution et une vieille promesse.


Me détournant de la tombe, je rentrai dans la maison et forçai la porte de la chambre où je n'étais pas entrée la dernière fois. Repoussant les reliquats du lit qui s'y trouvait, j'ouvris une trappe qui cachait un trou peu profond dans lequel nous rangions nos affaires de voyages. Je souris en constatant que rien n’avait changé de place et fus surprise de constater que les vêtements n’avaient pas subi les effets du temps contrairement à ce que j’avais imaginé. Profitant de l’aubaine, je récupérai une cape épaisse que mes parents m’avaient offert lorsque j’étais jeune pour m’aider à combattre le froid, puis je fouillai vers le fond pour récupérer une vieille épée, un bouclier cabossé ainsi que de larges bandes de cuir que nous utilisions pour transporter divers objets. Après quelques hésitations, je pris également la cape préférée de mon père ainsi qu’un sac pour transporter plus facilement ce que je venais de récupérer.

Je ressortis de la maison et constatai que le soleil avait bien entamé sa course. Cela ne m’arrangeait pas vraiment, mais je n’avais pas envie de repousser mon projet. Je sifflai Menelyan qui vint rapidement à ma rencontre, attrapai sa bride et sautai sur son dos avec légèreté. Le dirigeant d’une main, je rangeai mon matériel de l’autre, n’ayant aucunement l’intention de perdre plus de temps.

Malgré mon déplorable sens de l’orientation, je n’avais pas besoin de demander mon chemin car mon père m’avait menée là où je me rendais à plusieurs reprises afin de m’expliquer les traditions régissant le peuple que j’avais adopté. Bien que seule cette fois pour m’y rendre, je retrouvais chacun des repères qu’il m’avait montré, pressant à chaque fois l’allure de Menelyan lorsque je savais que j’allais dans la bonne direction.

Les arbres finirent par s’espacer les uns des autres, laissant apparaître une montagne qui dominait le paysage. Je savais que ma monture n’était pas capable d’emprunter les sentiers escarpés qui menaient à son sommet aussi je décidai de la laisser vagabonder dans les environs, consciente qu’il pourrait très bien décider de s’enfuir sans la présence rassurante de Fanyarë. Je récupérai le matériel que j’avais soigneusement emballé avant de reprendre ma route.


Durant le chemin me séparant de mon but, je repensai à la dernière discussion que j’avais eu avec mon père, quelques semaines avant qu’il ne s’éteigne. Il m’avait de nouveau parlé des lieux estimés comme sacrés pour les Elfes et des rites pratiqués lorsque l’un d’entre eux voyait son esprit s'affaiblir au point de disparaître. Il m’avait appris que l’âme d’un Elfe séjourne dans la Maison de Mandos avant de réintégrer un corps, parfois le siens, lorsque le temps est venu. Ce jour-là, il m’avait confié qu’il ne le désirait pas, car vivre dans un monde sans la présence de ma mère n’avait aucun sens à ses yeux.

Je posai le pied sur le point culminant de la montagne en soupirant, me demandant comment j’allais mener à bien mon projet. Contournant quelques roches qui témoignaient de l’érosion du lieu, je finis par découvrir ce que je cherchais. Entre deux immenses rochers formant un toit naturel, un monticule de pierres qui n’avait rien de naturel semblait protéger quelque chose. Je n’avais pas besoin de confirmation, je sentais que j’étais arrivée au bout du chemin.

Je n’avais jamais été du genre à respecter les traditions, mais une fois n’est pas coutume, j’adressai quelques mots aux Valars, m’excusant par avance de ce que je m'apprêtais à faire. Je m’attelai ensuite à la tâche, libérant petit à petit le lieu des pierres que les Elfes avaient déposé là. J’estimai en être à la moitié de mon ouvrage lorsqu’une voix m'interpella.


- Mais que faites-vous ?


Je me retournai vivement, pas vraiment certaine de a posture à adopter dans dans genre de circonstances et reconnu aussitôt mon interlocuteur. Celui-ci me dévisagea puis regarda la sépulture à demi ouverte.


- Ne me dis pas que tu fais ce à quoi je pense.

- Je crains que si.


L’Elfe soupira. Dans ces moments-là, je reconnaissais notre appartenance à la même famille. Une autre voix s’éleva.


- Qu’est-ce qu’il y a Anelwyn ?


Il secoua la tête et rebroussa chemin, je savais qu’il allait intercepter sa soeur qui venait de parler mais n’avais aucune idée de ce qu’ils allaient faire. J’étais partagée entre l’idée de poursuivre ce pour quoi j’étais venue ou me préparer à en découdre. Ne sachant que faire, je décidai de patienter, il serait toujours temps d’aviser le moment venu. Celui-ci ne se fit pas attendre, les deux Elfes se présentèrent à moi, Aïwenora me gratifiant d’un beau sourire accompagné d’une courbette. Anelwyn se rapprocha et ma main se crispa involontairement sur la garde de mon arme, il ignora délibérément mon geste et attrapa une pierre qu’il déposa non loin de celles que j’avais déjà éloignées.


- Si tu souhaites que les choses soient faites rapidement, je te conseille d’arrêter de lambiner et de m’aider. A moins que tu n’ais envie que d’autres personnes nous surprennent ?


Je le remerciai d’un léger sourire empreint de gratitude et me joignis à lui pour dégager le corps de mon père. Lorsque nous retirâmes les dernières pierres le recouvrant, je fus stupéfaite de voir que celui-ci n’avait pas changé. Si je n’avais pas su qu’il était mort, j’aurais pu croire qu’il dormait, attendant le baiser d’une princesse comme dans certains contes populaires. Je savais cependant que la seule reine de son coeur était morte et que toute l’affection du monde ne ramènerait ni l’un ni l’autre dans le monde des vivants.

Anelwyn attrapa mon père et le plaça dans son dos, je m’occupai rapidement de l’attacher à l’aide des lanières que j’avais prévu à cet effet avant d’accrocher la cape à ses épaules, lui cachant le visage à l’aide de la capuche. Je m'apprêtai à remettre en place les pierres quand Aïwenora posa sa main sur mon épaule.


- Tu n’as que trop tardé, laisse-moi m’en occuper. Il y a beaucoup de gens qui viennent se recueillir ici, vous devez partir.

- Merci Aï.

- Ne me remercie pas, je ne fais que payer une partie de ma dette.


Je n’avais pas envie de discuter du sujet, aussi je me contentai de hocher la tête avant de rejoindre Anelwyn qui avait commencé à descendre. Par chance, nous ne croisâmes la route de personne en dévalant les flancs de la montagne. J’espérai qu’il s’écoulerait un temps suffisamment long pour que ma cousine puisse avoir le temps de refermer la tombe. Anelwyn ne parlait pas, concentré pour ne pas glisser, son fardeau le déséquilibrant. Je le sentis se détendre lorsqu’il posa le pied sur la terre ferme. Je sifflai Menelyan tandis que mon cousin détachait sa propre monture, je pris le temps de l’aider à s’installer avant de sauter sur l’étalon qui avait accouru à mon appel.

Il était moins difficile pour moi de reprendre le chemin du retour. J’étais satisfaite d’avoir pu mener à bien mon objectif, cependant surprise d’avoir croisé deux membres de ma famille en ce lieu sacré et me demandant à la fois ce qu’ils faisaient là et ce qui avait pu les décider à m’aider à profaner la tombe de mon père. J’allais poser mes questions à Anelwyn, mais celui-ci me devança.


- Depuis combien de temps es-tu ici ?

- Je suis arrivée hier soir.

- Tu penses rester longtemps ?

- Non, je repartirai dès que j’aurais réunit mes parents.

- Pourquoi aussi vite ?

- J’ai des affaires à régler.


Je me gardai bien de préciser lesquelles. Il m’observa un moment puis hocha la tête.


- J’ai une faveur à te demander.


Je lui lançai un regard intrigué, je ne me serais jamais attendu à ce qu’un membre de cette famille absente ait besoin de moi un jour.


- Je t’écoute.

- Aïwenora et moi comptons partir d’ici. Elle prend conscience de.. Enfin.. Tu sais que je ne peux pas te parler de ce qu’il se passe.


Je savais. Le départ de mon père suivi de son mariage avec ma mère avait provoqué un rejet définitif de sa famille. Mon existence était depuis longtemps considérée comme sans intérêt, mais elle pouvait devenir gênante si je venais à en savoir trop à leur goût.


- Qu’attends-tu de moi ?

- Nous n’avons aucun endroit où aller, alors si tu pouvais nous héberger, cela nous permettrait d’éviter de repousser notre départ.


Je haussai les épaules, je n’étais que peu dans ma demeure et celle-ci était suffisamment grande pour accueillir deux personnes supplémentaires.


- Faites comme bon vous semble. Ma maison n’est pas fermée aux visiteurs. Est-ce pour cela que vous m’avez aidé ?

- Non. La mort d’Artuilë a fait prendre conscience à Aïwenora que notre famille abusait de son pouvoir. Ton discours l’avait déjà secouée mais il aura fallut attendre que la Matriarche ne respecte pas les volontés de ton père pour qu’elle réalise qu’elle ne pouvait rester.


Cela rendait les choses plus claires. Je restai silencieuse la fin du trajet, réfléchissant à ce qu’impliquerait leur départ et me demandant si les conséquences ne seraient pas difficiles à supporter pour eux.

Anelwyn s’avéra à la fois une aide précieuse et un soutien nécessaire lorsque nous arrivâmes dans la maison délabrée de mes parents. Il m’aida à creuser la fosse puis resta à mes côtés tandis que j’effectuai le seul rituel que je connaissais bien pour ces nouvelles funérailles.

Je n’avais ni dormi ni mangé depuis plus d’une journée et je commençais à ressentir la fatigue maintenant que j’avais accompli ce qui me tenait à coeur. Anelwyn me ramena jusqu’à la modeste demeure et me força à m’allonger, il me sembla qu’il me parlait de quelque chose d’important, mais j’étais incapable de lutter contre le sommeil et m’endormis presque aussitôt.

Lorsque je me réveillai, j’étais seule dans la pièce, une bougie brûlait sur la table, éclairant un message inscrit sur une feuille à demi déchirée.


“Je ne peux rester, ma soeur m’attend et nous devons rentrer ensemble. Nous nous retrouverons bientôt en Ered-Luin, d’ici là prends bien soin de toi.


Anelwyn”


Je glissai le papier dans l’une des poches de ma tunique, récupérai mes affaires puis soufflai la bougie avant de sortir. La nuit était tombée et la lune éclairait la robe de Menelyan qui mâchouillait quelques fanes de carottes dans l’ancien potager. Je contournai la maison et me rendis au pied de l’arbre, je constatai qu’un petit bouquet avait été déposé sur la terre fraîchement retournée et me demandai s’il s’agissait d’un présent de la part d’Aïwenora. J’adressai quelques pensées à mes deux parents avant de retourner auprès de ma monture. Il était largement temps de rentrer à Caras Galadhon.