Balsarn était assis sur le petit muret en pierres qui délimitait le jardin. Il buvait tout doucement et en silence un thé fumant. Le soleil déclinait déjà, en cette fin d’après-midi d’automne. Il souffla sur le liquide chaud et regarda les volutes de fumée se dissiper dans l’air frais. Il avait ôté son chapeau aux larges bords, décoré d’une plume blanche, celui qu’il aimait tant, et l’avait déposé à sa droite. Ses cheveux bruns avaient été consciencieusement tressés et sa barbe était courte et bien entretenue. D’une main, il se gratta le menton. Il se replongea dans la contemplation de sa tasse. Il était assez perplexe et avait du mal à se faire à l’idée qu’une de ses aïeules était encore en vie. Et elle souhaitait le voir. Il n’était pas prêt, c’était certain, il était bien loin de maîtriser son art et il ne pouvait envisager de se présenter ainsi devant elle. Perdu dans ses réflexions, Balsarn n’entendit pas que quelqu’un approchait. Il sursauta presque quand Moirawen s’installa à côté de lui. Le Nain admirait la façon gracieuse dont elle se déplaçait toujours.


« Bonsoir, maître Balsarn. »


Elle se pencha pour déposer une bise sur la joue barbue de son voisin qui parut surpris.


« Bonsoir, dame Moirawen. Comment allez-vous ? »


Il l’observait à la dérobée, un peu gêné par le baiser qu’il sentait encore sur sa barbe. Elle portait cette longue robe noire brodée. Elle coiffait ses cheveux bruns mi-longs vers l’arrière. Un serre-tête finement ciselé ornait son front. Des taches de rousseur constellaient ses joues et ses yeux avaient sans doute le pouvoir de faire fondre le coeur de n’importe quel homme. Si seulement elle le voulait...


« Plutôt bien. »

« Avez-vous fini là-bas ? »


Il désigna de la tête une grande maison où il semblait y avoir une fête. Elle lui sourit.


« Oui, tout est en ordre... jusqu’à demain matin. »


Elle contemplait le coucher du soleil.


« Maître Balsarn, je ne vous ai jamais remercié de prendre soin de mon frère. »

« Hé bien, c’est ce que font des amis, n’est-ce pas ? »

« Merci. », répondit-elle simplement.


Le Nain était encore plus gêné par ces remerciements.


« Avez-vous eu l’occasion de le voir depuis son retour ? Je l’ai à peine aperçu. »

« Oui, nous avons beaucoup parlé. Enfin, surtout lui. »

« Et elle ? »

« Ma foi, je n’ai rien à dire, mon cher. Ils s’aiment, c’est ce qui est plus important à mes yeux. Et elle a la confiance de Camellya. »


Ils restèrent silencieux plusieurs minutes.


« Ah, j’avais oublié. J’ai récupéré ceci pour vous. »


Moirawen lui tendit un petit sachet d’herbe à pipe.


« Oh vous me gâtez. Merci. »


Balsarn sortit deux petites pipes propres et en proposa une à la dame. Ils partagèrent le tabac. Moirawen s’essaya à un rond de fumée. Elle rit devant le résultat. Le Nain réalisa plusieurs ronds de suite et une spirale.


« Il semblerait que j’aie encore besoin d’entraînement. », conclut-elle.


Balsarn fronça les sourcils. Il finit par aborder le sujet qui lui brûlait les lèvres depuis un moment.


« Ils montent une expédition pour le Rohan. Ils vont tous partir. Vous n’êtes pas triste ? »

« Non, ma place est ici maintenant. J’ai beaucoup à faire. »


Moirawen s’était vue confier l’intendance d’une confrérie tenue par des Nains. Ils ne se préoccupaient guère d’autre chose que de boire et faire la fête. Elle gérait finances et stocks. Cette douce vie lui plaisait.


« Oh oui, certes. »


Il regardait ses pieds.


« Vous en faites une tête. Allons, venez danser. »


Elle s’était levée et lui faisait signe de la suivre. Il remit son chapeau et s’exécuta. Ensemble, ils remontèrent la pente qui menait vers la grande maison.